Le droit d’auteur connaît des exceptions qui, invoquées devant le juge, permettent d’échapper à la condamnation pour contrefaçon et parmi lesquelles se trouve la courte citation. Il ne s’agit pas à proprement parler de « droit de courte citation » mais bien « d’exception de courte citation ». Si les conditions permettant de bénéficier de l’exception sont d’application générale, il existe toutefois certaines spécificités selon le type d’œuvre dans la pratique de l’exception.
LES CONDITIONS D’APPLICATION
En principe le droit d’auteur et les droits voisins mettent en place des monopoles d’exploitation au bénéfice de leurs titulaires. Les droits patrimoniaux des auteurs et des artistes interprètes connaissent toutefois des exceptions qui se veulent pragmatiques et qui sont prévues à l’art L 122-5 du CPI pour les auteurs et à l’article L 221-3 pour les artistes interprètes. Existent ainsi l’exception de représentation privée et gratuite au sein du cercle familial, l’exception pédagogique, la parodie, l’information… Mais si elles permettent parfois aux personnes arguées de contrefaçon d’échapper aux sanctions, elles doivent toutefois être appliquées strictement, car c’est ainsi que le juge les interprète. Ainsi l’exception de courte citation figure en bonne place parmi les exceptions invoquées devant les tribunaux, mais son bénéfice n’est accordé que si celui qui l’invoque rapporte la preuve qu’il a prit toutes ses précautions. La loi n’exclue aucune œuvre du bénéfice de cette exception. Pourtant, traditionnellement, la Cour de Cassation considère que l’exception de courte citation ne peut s’exercer qu’en matière littéraire et qu’elle ne s’applique donc pas aux œuvres graphiques, plastiques, musicales et audiovisuelles. La jurisprudence a toutefois évolué dans presque toutes les matières.
D’un point de vue légal tout d’abord, les articles ne prévoient l’exception qu’aux droits patrimoniaux. Celui qui utilise l’exception de courte citation n’en est ainsi pas moins soumis aux droits moraux, qui lui interdisent toute divulgation de l’œuvre avant l’auteur, toute dénaturation de celle-ci et l’omission du nom de l’auteur. L’exception de courte citation suppose ensuite l’existence d’une véritable œuvre originale citante, contenant l’œuvre citée. Cela implique que l’emprunt soit accessoire à l’œuvre nouvelle et donc que celle-ci survive à la suppression des citations. La citation doit également être justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou informatif de l’œuvre citante. Cela signifie que la citation doit venir étayer un propos ou une analyse qui doit former la matière principale de l’œuvre citante et porter sur l’œuvre citée. La citation, comme l’énonce l’exception, doit également être courte, ce qui s’apprécie au regard de chacune des deux œuvres. Enfin, comme toute exception, la courte citation, pour être tolérée par le juge, doit respecter le triple test qui impose que l’exception soit limitée à un cas spécial, qu’elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et qu’elle ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ces conditions trouvent cependant une application variées selon le type d’œuvre.
L’APPLICATION DE L’EXCEPTION SELON LE TYPE D’ŒUVRE
La courte citation musicale
Les magistrats n’excluent pas l’applicabilité de l’exception en matière musicale. La citation doit toutefois remplir toutes les conditions requises, sous peine d’une condamnation pour contrefaçon. La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 10 décembre 2003 opposant Chérie FM à la Société Civile des Producteurs Phonographiques, a ainsi considéré que ne pouvait relever de l’exception de courte citation la diffusion sur des sites internet d’extraits de phonogrammes correspondant aux noms de leurs auteurs du fait que leur utilisation ne répondait pas à une finalité d’information relayée par le site et que la durée des extraits diffusés d’environ 30 secondes, au regard de celle des œuvres citées, d’environ 3 minutes chacune, ne correspondait pas à la condition de brièveté. Il convient de rappeler au sujet des œuvres musicales que toute utilisation à titre de bande originale requiert impérativement une autorisation et ne peut en aucun cas correspondre à l’exception de courte-citation.
La courte citation d’extraits vidéo
Dans un arrêt du 9 septembre 2014 la Cour d’Appel de Paris a considéré qu’incorporer des extraits d’un documentaire dans un film, sans l’autorisation des auteurs et sans mentionner leurs noms, non seulement ne pouvait relever de l’exception de courte citation, mais portait atteinte au droit de paternité, et même à l’intégrité de l’œuvre, dès lors que des commentaires en « voix off » du réalisateur accompagnaient les images empruntées. Une société de production a été confrontée à deux applications différentes de cette règle. Dans un premier jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 16 décembre 1997, l’insertion d’images d’archives de l’INA dans un documentaire avait été considérée comme relevant de l’exception de courte citation car la référence à l’Institut dans le générique était apparue comme une identification suffisante de la source. La même société de production fût toutefois condamnée pour contrefaçon dans un arrêt du 31 mars 1999 car la seule mention au générique du film « document vidéo France 2 » avait été jugée comme une identification insuffisante de la source pour que la reprise d’extraits d’émissions télévisées dans une œuvre cinématographique puisse relever de l’exception de courte citation. Le juge précisa qu’il aurait fallut insérer le sigle de la chaîne et le titre de l’émission sur l’extrait diffusé. Cette différence peut probablement s’expliquer par le fait que les vidéos de l’Ina sont davantage identifiables que les reportages des chaînes télévisées, ce que le juge avait relevé dans le premier arrêt.
La courte citation par capture d’écran :
La capture d’écran semble être un moyen clandestin de s’emparer d’autres œuvres sur le vif. Pourtant la Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt du 1er juillet 2010 a considéré que les captures d’écran de l’émission « Pékin Express », reproduites dans un magazine sans l’autorisation des producteurs de l’émission, relevait de l’exception de courte citation dès lors qu’elles portaient sur des émissions déjà diffusées, qu’elles ne constituaient pas des citations disproportionnées au regard de la durée et du nombre d’images diffusées par les producteurs, que leur usage à titre d’illustration d’articles critiques, polémiques et d’information rentrait dans la ligne éditoriale du magazine et que leur source était suffisamment identifiable de par le logo de la chaîne figurant sur chaque capture et de par la reproduction, sur chaque page de l’article, du titre de l’émission. La Cour semble donc affirmer que dès lors qu’une citation est réalisée dans les règles de l’art il n’y a pas lieu de la sanctionner. Reste que certaines créations ne peuvent tolérer la citation.
La courte citation des photographies et œuvres d’art :
Les photographies entrant dans la catégorie des œuvres graphiques, il faut différencier la citation de l’œuvre dans un format réduit (la vignette) et la citation partielle (gros plan sur un détail d’une œuvre), cette dernière pouvant dénaturer complètement l’œuvre d’origine. Ainsi dans un arrêt de renvoie du 12 octobre 2007, la Cour d’Appel de Paris a considéré que constituait une courte citation la reproduction d’une photographie plus de deux ans après sa divulgation dans le magazine Newlook et à l’origine de format 41 x 20 cm, sous forme d’une vignette de 6 x 4,5 cm estampillée Newlook, pour illustrer dans un magazine d’information un texte polémique d’actualité immédiate, relatant plusieurs impostures médiatiques de la personne représentée sur le cliché, révélées au cours du mois précédent. Les juges précisaient que cette publication respectait le triple test, toutes les conditions étaient donc vérifiées. Cette décision fut toutefois rendue sur le fondement de l’article L 122-5 9° du CPI, entré en vigueur en cours de procédure, et autorisant la reproduction d’œuvre graphiques dans un but exclusif d’information immédiate. Pour les photographies, et toutes les œuvres graphiques (dessins, œuvres picturales…etc), la courte citation au sens propre du terme n’est donc toujours pas réellement possible. La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 23 janvier 2002, avait ainsi rappelé que la représentation intégrale d’une photographie dans une émission télévisée et dans sa bande-annonce, sans autorisation, ne pouvait constituer une courte citation, quelle que soit la finalité d’information poursuivie. Seule peut éventuellement être invoquée la théorie de l’accessoire, développée notamment dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation du 15 mars 2005 concernant la place des Terreaux à Lyon, selon laquelle si une œuvre graphique protégée apparaît en arrière plan d’une œuvre nouvelle, il ne peut y avoir contrefaçon du fait que l’œuvre litigieuse n’est alors qu’accessoire. Le fait seulement de s’attarder sur cette œuvre serait donc vu comme une « citation » prohibée.
Au delà de la littérature, ayant créé l’exception, la musique peut donc également faire l’objet d’une courte citation, tout comme les extraits vidéos ou les captures d’écrans dans certains contextes. L’exception est toutefois un argument beaucoup plus faible en matière de photographie où il faudra davantage se défendre via la théorie de l’accessoire pour pouvoir espérer user d’une photographie sans en demander les droits. Dans tous les cas d’application un respect scrupuleux, et en amont de tout conflit, des conditions est vivement recommandé, et une consultation d’un conseil spécialisé peut s’avérer judicieux, à défaut de quoi le risque de condamnation pour contrefaçon sera plus élevé.
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