La création salariée est une problématique constante en matière de droits d’auteur, comme de droit du travail.
Les salariés participant nécessairement au développement des projets de leur employeur, il est essentiel de déterminer qui est titulaire des droits d’auteurs sur les travaux réalisés par le salarié et dans quelles conditions ceux-ci peuvent être exploités par l’employeur.
Titularité des droits ab initio
L’article L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle établit que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
La seul existence d’un contrat de travail n’emporte aucune dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l’auteur salarié.
La jurisprudence est constante en la matière et aucune cession tacite des droits au profit de l’employeur n’est reconnue (Civ. 1re, 16 déc. 1992: RIDA avr. 1993, p. 193, note Sirinelli; JCP 1993. IV. 549.) et ce même si l’œuvre est « créée en exécution des directives de l’employeur » (T. com. Lyon, réf., 22 oct. 2001: Rev. judiciaire 2002, no 970).
A défaut de cession de droits à son profit, l’employeur ne peut exploiter l’œuvre créée par son salarié.
Des exceptions ont toutefois été créées au profit des employeurs pour certaines professions (journaliste, fonctionnaire), sur certains produits (logiciels) et sur certains types d’œuvres (œuvre collective).
Nous ne traiterons pas ici des régimes spécifiques mais nous concentrerons sur les dispositions générales. Il semble toutefois important de revenir brièvement sur la notion d’œuvre collective.
L’œuvre collective est, sauf preuve contraire la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée, qui est investie des droits de l’auteur (article L 113-5 CPI). Cette disposition permet ainsi aux employeurs à l’initiative d’une œuvre collective d’être titulaire des droits d’auteur sur celle-ci sans formalité.
La dérogation étant très favorable aux employeurs, l’article L 113-1 du CPI, établit une définition restrictive de l’œuvre collective et la qualification d’œuvre collective suppose cumulativement une œuvre «créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom » et « dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. »
La qualification a pu être reconnue notamment pour des dictionnaires, sites internet, œuvres multimédia, créations publicitaires etc. mais la jurisprudence est sévère en la matière et apprécie strictement les conditions ci-avant.
Ainsi la qualification d’œuvre collective a pu être rejetée pour les œuvres audiovisuelles, pour un recueil de contributions d’intervenants lors de colloques, pour un magazine etc.
Il reste par ailleurs toujours possible pour un auteur de revendiquer des droits sur sa contribution notamment en démontrant que sa contribution est distincte et individualisable de l’œuvre finale.
Les conditions d’applications du régime de l’œuvre collective sont strictes et le risque de requalification réelle. L’établissement d’une clause de cession de droits ou d’un contrat distinct reste donc fortement conseillé.
Nécessité d’une cession au profit de l’employeur
La transmission des droits est expressément subordonnée à la condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée, (Civ. 1re, 16 déc. 1992 précité)
La clause par laquelle un salarié cède ses droits d’auteur devra en conséquence respecter un certain nombre de conditions, en application de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui est régulièrement rappelé par la jurisprudence (Cass. Soc., 7 janv. 2015, n°13-20.224) :
– Les droits cédés devront chacun faire l’objet d’une mention distincte et précise dans l’acte de cession
– Le domaine d’exploitation des droits cédés devra être délimité dans son étendue et sa destination, son lieu et sa durée ;
– Les droits moraux de l’auteur restent incessibles.
Toute clause de cession trop générale ou imprécise des œuvres créées dans le cadre du contrat de travail est susceptible d’être annulée, comme portant atteinte au principe de la prohibition de la cession globale des œuvres futures (L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle).
Cependant, il a déjà pu être admis que la prévision, dans un contrat entre un annonceur et un agent de publicité, «d’une cession automatique des droits de propriété littéraire et artistique au fur et à mesure de l’exploitation ou du règlement éventuel des travaux,» ne constituait pas une cession globale des œuvres futures (Civ. 1re, 4 févr. 1986: Bull. civ. I, no 12; RTD com. 1987. 198) . Dans le même sens, «la prévision d’une cession automatique de droits de propriété littéraire et artistique au fur et à mesure d’éventuels travaux n’est pas constitutive de la cession globale d’œuvres futures». (Lyon, 28 nov. 1991: Gaz. Pal. 1992. 1. 275, note Forgeron.)- ce que les tribunaux rappellent fréquemment ( Versailles, 21 janv. 2021, Comm. com. électr. 2021, n° 4, comm. 27, Paris, 25 janv. 2023, Comm. com. électr. 2023, comm. 14, P. Kamina ; Propr. intell. 2023, n° 87)
De telles décisions vont donc dans le sens de la validité des clauses de cession de droits dans les contrats de travail, dès lors qu’elles sont suffisamment claires.
Rémunération de la cession de droits de l’auteur salarié
La cession peut être réalisée à titre gratuit ou onéreux (article L122-7 du CPI) cependant l’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit expressément pour l’auteur une participation appropriée et proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation de son œuvre.
Toutefois, des exceptions sont prévues et permettent une rémunération forfaitaire notamment dans les cas suivants : la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ; les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut ; les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ou la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle (soit la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre, soit l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité).
Dans le cadre de créations salariées, la rémunération proportionnelle n’est généralement pas adaptée notamment pour tous les cas où l’auteur ne participe que de manière accessoire à l’œuvre : consultant sur un projet, réalisation d’éléments graphiques secondaires, écriture de textes de présentation etc.
Il s’agit alors d’inclure dans le salaire une fraction correspondant à la rémunération des droits d’auteurs en opérant une ventilation entre salaire et rémunération forfaitaire des droits d’auteurs.
La jurisprudence est cependant relativement souple à cet égard et a pu admettre la possibilité que la rémunération forfaitaire « n’opère aucune distinction entre la rémunération de la prestation de travail proprement dite et la contrepartie de la cession continue des droits d’auteur au cours de l’exécution du contrat de travail ». (Paris, 22e ch., sect. B, 9 juin 2009, RG n°07/02330).
Les juges ont également pu valider le fait qu’un contrat de travail ne détaille pas les modalités financières de la cession des droits et que le salaire englobe à la fois la contrepartie de la cession et celle de la mise en œuvre de la prestation de travail (Paris, pôle 6, 5e ch., 10 mars 2016, RG n°15/00318).
Enfin, il doit être noté que dans le cadre de telles cessions forfaitaires, une révision pour lésion est possible au profit de l’auteur ayant subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre cédée (art. L131-5 CPI).
La lésion doit s’apprécier au moment de la conclusion du contrat et donc indépendamment des profits ultérieurs du cessionnaire, par référence aux usages professionnels et en fonction des modalités d’exploitation de l’œuvre et la prévision insuffisante des produits de l’exploitation n’est prise en compte que si l’intensité de l’exploitation future n’était pas envisageable à l’instant de la cession faute d’indications de la part de l’employeur.
Il est donc conseillé de fixer une rémunération forfaitaire qui ne soit pas dérisoire, conforme aux usages et à l’exploitation de l’œuvre envisagée.
Dans ce cadre, afin d’établir, négocier ou contrôler la légalité d’une clause de cession de droits au sein d’un contrat de travail, il est judicieux de prendre conseil auprès d’un avocat spécialisé afin d’étudier les usages applicables à chaque situation et de garantir la protection de vos intérêts en tant qu’employeur ou en tant que salarié, selon votre situation.
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