L’actualité de la pandémie, et du confinement qui en découle, amène à nous intéresser à la question des interruptions de production et d’exploitation de films, qu’ils soient audiovisuels ou cinématographiques.
Dans ce contexte, la notion de « force majeure » revient systématiquement et il est nécessaire de comprendre comment elle est utilisée dans les contrats relatifs à la production et à la distribution de films. En premier lieu, il est nécessaire de définir la force majeure avant d’en voir son application. On considérera également plus rapidement la notion d’imprévision.
A) Définir la force majeure
Quelle définition légale de la force majeure ?
La réforme du droit des contrats a inscrit dans le Code civil une nouvelle définition de la force majeure et établit ainsi à l’article 1218 qu’en matière contractuelle, « il y a force majeure lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
La définition de la force majeure suppose d’étudier in concreto si les faits rencontrent les critères de cette dernière. Aussi, elle est appréciée au cas par cas par les juges, le cas échéant.
S’agissant des épidémies et maladies, la jurisprudence existante est défavorable à la qualification de force majeure. Pour le H1N1, le virus de la dengue, ou encore celui du chikungunya, les juges ont ainsi considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et effets sur la santé, soit qu’elles n’étaient pas assez mortelles pour constituer une situation de force majeure permettant de refuser d’exécuter un contrat.
Cependant, l’épidémie de Covid 19 présente des caractéristiques inédites et dramatiques, avec des mesures réglementaires extrêmement contraignantes prises par les autorités, une très forte létalité et une absence de connaissances médicales suffisantes.
Cela semble pouvoir permettre de qualifier la situation d’évènement constitutif de force majeure.
En ce sens, la Cour d’appel de Colmar a été la première à qualifier le fait de ne pas pouvoir se rendre à une audience d’appel en raison de la contraction du virus Covid-19 et du risque de contagion qui en résulte comme relevant de la force majeure (CA Colmar, 12 mars 2020, n°20/01098).
A noter toutefois que la force majeure s’apprécie lors de la signature du contrat, la chronologie ayant alors une grande importance. L’évènement doit avoir été imprévisible lors de la conclusion du contrat.
La principale difficulté est alors de déterminer à quelle date il faut considérer que les effets du Covid-19 sont devenus prévisibles . A cet égard, la situation chinoise était connue depuis décembre 2019 , l’OMS a donné l’alerte dès le 30 janvier 2020 et le Covid-19 est devenu une « pandémie », selon l’OMS, le 11 mars 2020.
Les contrats conclus de manière très antérieure, entrent très certainement dans le champ de la force majeure, pour d’autres, il sera plus délicat de l’établir, voire impossible pour les contrats conclus à une date trop proche des mesures d’urgence.
Le 28 février dernier, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a pu déclarer que le coronavirus sera considéré comme « un cas de force majeure » pour les entreprises, à voir dans quelle mesure cela sera suivi d’effet.
A noter enfin que la définition du code civil n’est pas d’ordre public, aussi elle s’applique uniquement lorsque les contrats n’ont pas prévus de conditions relatives à la force majeure.
Quelle définition contractuelle de la force majeure ?
Lors de la conclusion d’un contrat, afin que la force majeure soit applicable en faveur du producteur, ce dernier a tout intérêt à définir les situations qui constitueront une telle force majeure.
Il est ainsi conseillé d’établir une liste non exhaustive de situations constitutives de force majeure : situation de guerre déclarée ou non déclarée, de grève générale de travail, de maladies épidémiques, de mise en quarantaine, d’incendie, de crues et sécheresses exceptionnelles etc.
Il est en ce sens intéressant pour le producteur de spécifier que dans le cas d’une interruption de la production du film par suite d’un sinistre non assurable selon les clauses de polices d’assurances en usage dans la production de films français, cette interruption sera assimilée à un cas de force majeure.
Toutefois si vous signez en ce moment même des contrats, vous ne serez vraisemblablement pas en mesure d’invoquer l’aggravation de la pandémie comme cas de force majeure étant donné la connaissance actuelle du phénomène. Il faudrait pour vous en assurer au maximum, une rédaction précise de la clause de force majeure faisant référence à l’évolution imprévisible de la pandémie.
B) Application de la force majeure dans les contrats de la production de films
Le code civil précise de manière générale les effets de la force majeure :
si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.
Si l’empêchement est définitif le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations.
Là encore, la disposition n’est pas d’ordre public et peut être précisée ou modifiée par les parties contractantes.
En matière de production audiovisuelle, les effets et l’implication d’un évènement de force majeure diffèrent selon qu’elle survient lors du développement, de la production ou de la diffusion du film.
Dans les contrats d’auteur est généralement inclus une clause spécifique dont la rédaction varie selon les contrats. Le plus souvent, le producteur peut librement opter entre résiliation du contrat ou suspension pour la durée de l’évènement, avec un report des délais prévus au contrat.
Afin d’éviter toute difficulté, il doit bien être prévu que l’auteur ne peut obtenir aucun paiement autre que ceux qu’il aurait déjà perçus, ni être indemnisé pour la rupture du contrat.
Dans les contrats de coproduction, de production exécutive ou généralement de prestations de services ( repérages, post-production, prises de vue spécialisées, cascades etc.) il est le plus souvent prévu qu’un manquement par une partie à ses obligations du fait d’un cas de force majeure ne permet pas la résiliation du contrat pour inexécution. Néanmoins, une situation qui se prolongerait au-delà d’un certain délai permettrait la résiliation, cette dernière n’étant pas automatique.
Il peut être intéressant pour un producteur de prévoir contractuellement comment sera organisé le report des prestations et l’organisation d’un nouveau calendrier pour celles-ci, s’il estime que la production peut reprendre.
En matière de droit du travail, en cas d’évènement de force majeure, le contrat de travail est rompu immédiatement et l’employeur n’est pas tenu de respecter la procédure de licenciement et aucun préavis n’est effectué.
Le salarié en CDD perçoit son indemnité compensatrice de congés payés et si la rupture du contrat est la conséquence d’un sinistre, une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations que le salarié aurait dû percevoir jusqu’au terme du contrat. En revanche, la prime de précarité n’est pas versée
Il est permis à l’employeur et au salarié, par voie de convention, d’atténuer ou de supprimer le caractère libératoire de la force majeure. Ainsi, une clause semble pouvoir prévoir que seule la suspension sera applicable. Cela permet alors la reprise du tournage ultérieurement.
Là encore, la difficulté repose dans caractérisation de la force majeure, qui est vue de manière restrictive.
Il a par exemple pu être jugé que le décès en cours de tournage de l’acteur tenant le rôle principal ne peut être considéré comme un cas de force majeure empêchant la société de production de fournir à son partenaire le travail convenu, dans la mesure où la série télévisée aurait pu être poursuivie avec un autre acteur (Cass. soc., 12 févr. 2003, Y. Pavec es qual. liquidateur Sté Télémax c/ Andréa Ferréol : Juris-Data : n° 2003-017596).
Enfin, la clause de force majeure est moins systématique dans les contrats de diffusion, notamment lorsque le film est finalisé.
Lorsque le film n’est pas finalisé, il est essentiel pour le producteur de se protéger en cas de survenance d’un évènement de force majeure durant la production du film. En effet, cela pourrait l’amener à ne pas respecter la date de livraison prévue au contrat et d’être en situation de manquement contractuel, et dans le même temps il est nécessaire pour le producteur de pouvoir compter sur l’absence de résiliation des contrats de financements du film. Cette clause est donc à rédiger de manière à rendre possible une suspension, et non une résiliation.
Lorsque le film est finalisé, la problématique se décale sur le respect de la date de sortie et les conditions d’exploitation du film par le distributeur.
A défaut de clauses prévues contractuellement, les dispositions du code civil s’appliquent avec au choix une suspension ou une résolution du contrat. Cette dernière solution entraînerait cependant le remboursement des minimums garantis perçus par le producteur et mettrait un terme quasi-définitif à la carrière du film, et plongerait la production dans des problèmes financiers insurmontables auprès des établissements de crédits.
Aussi, une discussion entre les parties paraît la solution viable afin de garantir les intérêts du producteur et du distributeur. Il peut s’agir de décaler la sortie, ou encore d’envisager une carrière différente pour le film, hors des salles de cinéma.
Sur ce point, des difficultés peuvent survenir en termes de chronologie des médias.
En ce qui concerne les remèdes spécifiques mis en place par les autorités dans le cadre de la crise actuelle, l’article 17 de la loi d’urgence du 23 mars 2020, autorise le président du Centre national du cinéma et de l’image animée à revoir la chronologie des médias en ce qui concerne les œuvres cinématographiques qui faisaient encore l’objet d’une exploitation en salles de spectacles cinématographiques au 14 mars 2020.
Ainsi, plutôt que d’attendre quatre mois après leur sortie en salle, ils peuvent être diffusés immédiatement en vidéo à la demande à l’acte ou en DVD, si la demande est faite auprès du CNC. Cela a notamment été mis en place pour « La fille au bracelet » de Stéphane Démoustier, « Un divan à Tunis » de Manele Labidi-Labbe ou « Cuba Network » d’Olivier Assayas.
En revanche, rien n’a été prévu pour les films dont les sorties en salles étaient planifiées et qui ne pourront avoir lieu à la date initialement fixée.
Enfin, il est nécessaire de noter que les contrats d’assurance ne couvre généralement pas les cas de force majeure, qui ne sont ni des catastrophes naturelles, ni des dommages directs. Aussi, à défaut d’avoir souscrit une assurance spécifique, il n’apparaît pas possible d’obtenir réparation des dommages subis par l’assurance de la production.
C) L’imprévision
L’imprévision est la possibilité de renégocier les termes d’un contrat en cas de « changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. » (article 1195 du Code civil).
Pour qu’il y ait imprévision, il faut donc :
un évènement imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
que l’exécution ne soit pas impossible, mais seulement excessivement onéreuse ;
que le risque n’ait pas été accepté par la partie qui en subit les conséquence.
En ce sens, l’imprévision ne pourrait pas s’appliquer à des contrats conclus alors même que l’épidémie de COVID 19 était déjà déclarée, l’évènement n’étant alors pas imprévisible.
Elle peut en revanche permettre de renégocier les termes d’un contrat lorsque la force majeure est inapplicable car l’exécution du contrat reste possible, bien que très coûteuse pour le débiteur.
En cours de renégociation, le contrat continue de s’exécuter.
Il est encore précisé qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent mettre fin au contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe seul.
Là encore, les dispositions ne sont pas d’ordre public et peuvent avoir été aménagées différemment dans le contrat.
D) Dispositions exceptionnelles et fonds de soutien
Dans le cadre de la pandémie de COVID-19 ayant entraîné une période de confinement, le CNC a mis en place un plan de continuité d’activité.
En ce sens, tous les demandes de soutien sont dématérialisées et le nombre de pièces à fournir pour une demande de soutien réduit de manière substantielle. Les sessions des commissions sont par ailleurs dématérialisées et es auditions des porteurs de projets se déroulent par visio-conférence ou remplacées par un pitch vidéo bref. Un décalage des dates limites de dépôt est également organisé.
Enfin, le CNC a procédé dans un premier temps à la suspension du recouvrement de la TSA qui aurait dû être acquittée fin mars, la transmission des données devant néanmoins être réalisée.
La SACD a également mis en place deux aides spécifiques à la crise actuelle.
Le Fonds d’urgence Audiovisuel, Cinéma, Animation, Web permet auteurs d’œuvres audiovisuelles, ne bénéficiant ni d’aides au titre du Fonds de solidarité nationale, ni d’une mesure de chômage partiel supérieure ou égale à 1500 €, d’obtenir un soutien de la SACD, à la condition d’établir une perte de ses revenus nets au titre de l’activité d’auteur d’au moins 50 % au mois de mars et/ou d’avril 2020.
La subvention est au maximal de 1500 euros, ceux ayant subi une perte de revenus inférieure à 1500 euros perçoivent une subvention égale au montant de cette perte.
La SACD a également mis en place un Fonds SACD de Solidarité Covid pour les personnes ne bénéficiant d’aucun revenu fixe et pouvant justifier de l’annulation de représentations pour un spectacle déclaré à la SACD ou d’un contrat d’écriture.
AUDIENS, le groupe de protection sociale du secteur de la culture, et Netflix, ont également annoncé la création d’un nouveau fonds de soutien d’urgence pour les artistes et techniciens intermittents de l’audiovisuel et du cinéma durement touchés par l’arrêt total des productions en France et à l’étranger en raison de la crise du coronavirus.
L’aide est accessible aux artistes et techniciens sous certaines condition et prend la forme d’un aide forfaitaire de 500 €, non imposable et non remboursable. Elle pourra être portée à 900 € pour les professionnels dont les ressources avant tout abattement n’excèdent pas 15 000 €.
En matière de force majeure, il est ainsi primordial de s’assurer dans un premier temps d’encadrer efficacement les relations entre les producteurs et leurs partenaires, tant pour le développement, la production que la distribution des œuvres. Dans un deuxième temps, pour le règlement de situations aussi délicates que les cas de force majeure, il convient de traiter chaque situation au cas par cas, après une étude approfondies des contrats existants. Pour ce faire, le recours à un cabinet spécialisé est fortement recommandé afin de répondre aux mieux aux besoins des producteurs.
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