Jeu vidéo et droit du travail
Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Jeu vidéo et droit du travail

Les français sont désormais 31 millions à jouer aux jeux vidéo soit trois fois plus qu’il y a dix ans et l’industrie du jeu vidéo enregistre depuis 40 ans une croissance soutenue. Ainsi en 2013 le chiffre d’affaires direct du secteur en France est estimé à 2,7 Md € soit le double du chiffre d’affaire de l’industrie cinématographique. Surtout les Jeux Vidéo produits en France s’exportent bien : plus de 80% de la production est vendue hors de nos frontières. On note d’ailleurs que le studio français Ubisoft est le troisième éditeur mondial dans le secteur.

La production de jeux vidéo est un secteur en perpétuel développement et qui génère de nombreux emplois en France, le secteur du développement représentant à lui seul plus de 80% des emplois du secteur. En 2013 les studios ont ainsi dégagé 400 millions d’euros de budget de production en France.

Cependant le tableau est loin d’être idyllique : les sociétés de production étaient trois fois plus nombreuses il y a quinze ans et de nombreux techniciens et créateurs partent travailler à l’étranger notamment au Canada ou aux Etats-Unis. La fermeture de nombreux studios de développement soulève la question de l’économie, de la rentabilité de la production de jeux vidéo mais surtout des méthodes de production. Ainsi il apparait que les pratiques contractuelles dans le secteur ne sont pas toujours adaptées aux contraintes de l’activité.

DE NOMBREUX CDI, DES REMUNERATIONS FAIBLES ET UN SECTEUR EN DANGER

Les salariés du jeu vidéo, à la différence notamment de ceux du film d’animation dont l’activité s’exerce souvent sous le régime de l’intermittence, sont majoritairement employés via des contrats à durée indéterminée. Ainsi dans des studios comme Asobo Studio ou Quantic Dream le nombre de salariés en CDI est nettement majoritaire. Chez Quantic Dream quarante des cent-vingt salariés travaillent dans l’entreprise depuis plus de sept ans.

Si cette stabilité des effectifs traduit la volonté de ne pas perdre les talents, il s’agit aussi d’une contrepartie offerte aux salaires généralement moins élevés en France. À titre d’exemple, en 2011 un animateur débutant pouvait se voir proposer 125 000 dollars annuels (environ 90 000 euros) aux États-Unis, contre 60 000 euros en Grande-Bretagne et seulement 43 000 euros en France. Mais ce montant ne cesse de diminuer en France comme à l’étranger. Ainsi aujourd’hui l’animateur débutant ne commence plus sa carrière américaine qu’à 50 000 dollars annuels, là où la chute est moins cruelle en Europe, à 40 000 dollars annuels en moyenne. De fait les garanties salariales offertes par les CDI en France (couverture sociale, assurance chômage…) sont le pendant de plus faibles rémunérations.

Le recours au CDI possède toutefois un défaut intrinsèque car comme Fabrice Fries le rappelle « Le métier de création des jeux vidéo, centré sur des projets, est fait de pics et de creux très marqués. Le contrat à durée indéterminée est pourtant la norme pour les salariés des studios français, ce qui peut constituer un frein à l’embauche. » On note a contrario que les studios anglais qui bénéficient notamment d’une plus grande souplesse de la réglementation du travail, comptent des effectifs près de 4 fois supérieurs à ceux des studios français.

Enfin le secteur du jeu vidéo est en danger permanent : on compte depuis 10 ans des baisses sensibles des effectifs et de nombreuses faillites de studio qui viennent le confirmer. On observe aussi depuis peu dans les studios français, le développement d’embauches à durée déterminée, qui ont pour corollaire une plus grande précarité de certains salariés. Fabrice Fries rappelait encore qu’« en pratique le jeu vidéo recourt d’ores et déjà à certaines « ficelles » pour contourner le contrat à durée indéterminée dans des conditions peu protectrices des salariés: recours abusif aux contrats à durée déterminée, sous-traitance à des « consultants extérieurs » (requalifiables en salariés de fait), création de filiales « audiovisuelles » recourant au régime des intermittents alors même que l’activité a souvent peu à voir avec la création audiovisuelle».

Tous ces constats soulignent la nécessité d’un assouplissement des contrats dans le secteur et la mise en place de dispositifs spécifiques adaptés.

UN ASSOUPLISSEMENT NECESSAIRE : L’INTERMITTENCE OU LA MISE EN PLACE DES CONTRATS DE PROJET ?

Depuis longtemps déjà les producteurs de jeux vidéo expriment leur volonté de s’échapper du carcan des CDI et CDD de droit commun et évoquent un recours à l’intermittence. Au début des années 2000 Pierre Carde, directeur de LyonGame et animateur de la commission sociale de l’Apom (Association des producteurs d’œuvre multimédia) soulignait que le secteur était « preneur de contrats de plus courte durée, correspondant à des missions limitées… Tout en faisant attention à ne pas augmenter la précarité dans cette industrie. » calqué sur le modèle de l’intermittence.

Or l’intermittence est difficile à mettre en place dans le secteur du jeu vidéo car elle n’est pas prévue pour s’y appliquer même si 16% des sociétés possèdent un code NAF « activités récréatives, culturelles et sportives » permettant l’emploi d’intermittents du spectacle ce qui est non négligeable. Même si dans les faits le nombre de salariés sous le régime de l’intermittence est faible la crise qui se dessine dans l’industrie du multimédia amène certaines entreprise à adopter de nouvelles méthodes de gestion, privilégiant l’emploi précaire à la constitution d’équipes permanentes et au développement de savoir-faire interne. Or cela n’est nullement souhaitable : cela précarise la situation des employés et amoindri la qualité du travail des studios.

La loi du 25 juin 2008 « portant modernisation du marché du travail » rend possible la conclusion d’un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation d’un objet défini sous réserve d’accord de branches ou de règlements d’entreprises le prévoyant. Prévu pour 5 ans le statut a été prolongé d’un an : jusqu’au 27 juin 2014

A ce propos le conseiller référendaire à la Cour des comptes, Monsieur Fabrice Fries, estimait en 2003 dans son rapport intitulé « Propositions pour développer l’industrie du jeu vidéo en France » que «Le secteur du jeu vidéo semble un terrain idéal pour une application des contrats de projet». Le nouveau contrat permettrait ainsi de pallier l’usage des CDI sans mettre les employés dans une situation précaire.

Cependant ce type de contrat ne s’applique qu’aux ingénieurs et aux cadres et non pas à l’ensemble des postes nécessaires pour le développement d’un JV. Or un récent rapport du SNJV permet de constater que le nombre de cadres est assez faible dans les studios de développements : ils représentent en moyenne autour de 40% des effectifs. Ainsi l’application du contrat de projet tel qu’il existe ne permet pas de changer en profondeur les pratiques des studios en matière d’emploi.

En ce sens le SNJV en 2012 formulait aux candidats à la présidentielle la demande d’une « mise en place d’un contrat de travail adapté aux rythmes de production inhérents au marché du jeu vidéo, et à la très forte tension sur les métiers clés, devenue indispensable. Elle permettra une plus grande attractivité de nos entreprises et une meilleure fidélisation des salariés grâce à une visibilité de plus long terme. »

Cependant le risque est évident si de tels contrats « de projet » assortis du licenciement amiable pour fin de l’objet du contrat, venait à s’appliquer au secteur du jeu vidéo, c’est que le poids des incertitudes quant à la réussite du projet viendrait peser plus sur les salariés que sur les studios. Il convient donc de trouver un équilibre entre garantir la pérennité du secteur et protéger les salariés en trouvant un compromis entre stabilité, prime de départ, garanties diverses (formation renforcée, reclassement, priorité de réembauche…) pour les salariés et une plus grande flexibilité pour les studios.

DROITS D’AUTEUR ET CONTRAT DE TRAVAIL UN EQUILIBRE DIFFICILE A TROUVER

Le développement d’un jeu vidéo relève principalement de contrats de commande dans lequel un studio charge une équipe de développer un jeu. Le problème étant que contrairement au statut de Work made for Hire prévu par le Copyright Act les contrats de commande français n’emportent pas cession automatique des droits. Ainsi l’article L.111-3 dispose que « L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit ». Le contributeur reste titulaire de sa création.

Une question doit ici s’ajouter : celle de la qualification des jeux vidéo. En effet il convient d’établir s’ils sont des œuvres de collaboration ou des œuvres collectives. Sur ce point les avis divergent et ne permettent pas de classifier les jeux vidéo. Ce statut est important car il détermine les modalités de la cession de droits des contributeurs.

On constate bien que des aménagements de la PLA aux spécificités des JV sont plus nécessaires

En Avril 2012 un mission de médiation entre les acteurs du jeu vidéo et les sociétés d’auteurs a mis en avant la nécessité de reconnaître explicitement le jeu vidéo comme une « œuvre de l’esprit » au sens de l’article L. 112-2 du Code la propriété intellectuelle (CPI) et d’en définir les spécificités dans une section individualisée. En conséquence le jeu vidéo se distinguerait des logiciels et des œuvres audiovisuelles, l’entreprise de création de jeux vidéo serait clairement définie.

Cette mission a abouti à deux propositions : une première proposition de texte conforme aux principes généraux du droit de la propriété littéraire et artistique peu adaptée aux spécificités et pratiques du secteur du jeu vidéo et une seconde proposition de texte, plus expressive des intérêts et pratiques juridique des acteurs du jeu vidéo mais qui nécessite de nombreux aménagements du droit d’auteur. C’est cette proposition des acteurs du secteur qu’il s’agit de détailler.

Elle définit l’entreprise de création de jeux vidéo : « personne morale qui met en œuvre les moyens humains, techniques, les compétences et savoir-faire nécessaires à la création du jeu vidéo. » Elle prévoit également une cession de droits simplifiée avec une dévolution des droits qui s’établit sur la base d’une présomption fixée par la loi, de la même manière qu’en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles, ainsi qu’une rémunération proportionnelle des auteurs.

On notera ici que cette proposition était le fruit de compromis et ne satisfaisait pas les exigences de la totalité des acteurs du secteur et encore moins des sociétés d’auteurs. Ces dernières sont très opposées aux dérogations demandées par les syndicats de producteurs et contestent « la violente hostilité des éditeurs de jeux à l’encontre des droits d’auteur » (communique de presse- SCAM). Elles réclament une application stricte du droit d’auteur mais ne parviennent malheureusement pas à s’entendre sur la forme qu’elle doit prendre. Rappelons pour mémoire que la SACD était favorable à l’application du régime de l’œuvre audiovisuelle et la SCAM préférait voir les jeux vidéo comme des œuvres collectives au même titre que les travaux des journalistes par exemple.

La Mission Chantepie est au final un échec qui a entrainé un nouveau rapport des sénateurs Gattolin et Retailleau en 2013. Ceux-ci dans une partie « l’épineuse question du droit d’auteur » établissent que « la majorité des studios français a fait le choix d’intéresser les salariés aux résultats du jeu, en contrepartie d’une cession de leurs droits. (…) Il s’avère que ce mode de rémunération semble en réalité satisfaire les salariés du jeu vidéo. » En effet les contentieux sont rares et aucune demande syndicale particulière n’a émané en faveur de l’application du droit d’auteur. » La solution adoptée par les studios semble être une hybridation entre une cession automatique comme pour une œuvre collective et une rémunération proportionnelle comme pour une œuvre de collaboration. On constate ici que le secteur a adopté son propre mode de fonctionnement et qu’il est temps pour le législateur de le confirmer ou de l’infirmer.

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