Le 2 septembre 2014 Michel Hazanavicius et la société de production de Thomas Langmann, La Petit Reine, sont assignés devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris pour contrefaçon de scénario mettant en cause le film « The Artist ». L’accusation est portée par Christophe Valdenaire, auteur de deux courts-métrages, qui aurait écrit, entre 1998 et 2009, un scénario de long-métrage intitulé « Timidity, la Symphonie du Petit Homme ». Pensé comme un projet muet, le film, rendant hommage au cinéma et à l’époque de la transition du muet au parlant, devait être en noir et blanc et ses recherches de financement remonteraient à treize ans. Ce type de conflit est courant dans le milieu du cinéma et il revient alors aux juges de distinguer ce qui est, et doit rester, « de libre parcours » de ce qui constitue « l’empreinte de personnalité d’un auteur » et d’analyser les ressemblances de chaque texte.
Juridiquement en effet, la contrefaçon de scénario est essentiellement une question de preuve, et quoi de plus difficile dans un milieu artistique ou les co-écritures sont légion que de définir très précisément qui a écrit quoi et quand ? Rappelons tout d’abord que selon l’article L 113-7 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) l’auteur d’un scénario est présumé coauteur du film et bénéficie à ce titre de la protection des droits de propriété intellectuelle attachés au film. Par ailleurs la jurisprudence répète depuis une décision du TGI de Paris du 5 avril 1978, qu’« un scénario peut être protégé en soi, indépendamment de son utilisation pour élaborer une œuvre audiovisuelle ». Néanmoins toute idée d’œuvre audiovisuelle n’est pas un scénario protégeable qui correspond, quant lui, plus au traitement d’une idée. Pour être protégeable donc, l’œuvre n’a pas besoin d’avoir été pensée comme destinée à une création audiovisuelle, mais elle doit être originale. C’est souvent là que le bât blesse, car la simple thématique n’est, heureusement, pas appropriable, car non
originale. Ainsi le TGI de Paris statuant en référé dans une décision du 12 juin 2006 a rejeté les demandes d’une scénariste, spécialiste du Moyen-Orient, qui accusait le film « Syriana », produit et interprété par Georges Clooney, de contrefaire son scénario. Le tribunal a en effet considéré que les conflits du Moyen-Orient et les ressorts qui leur sont régulièrement associés, tels que le pétrole, l’islamisme, l’influence des Etats-Unis ou les échecs de la CIA, sont des sujets très régulièrement traités par l’actualité et placés aux premiers rangs des préoccupations de l’opinion publique occidentale depuis les attentats du World Trade Center. Par conséquent une telle thématique ne pouvait pas faire l’objet d’une appropriation. Ce principe est respecté depuis longtemps en jurisprudence puisque le TGI a de Paris a affirmé, dès le 8 avril 1998, que la protection du droit d’auteur ne s’applique pas au thème traité « qui demeure du domaine des idées et est inappropriable pas nature ». En effet il serait regrettable que l’on puisse reprocher à un film de contrefaire des éléments qui relèvent d’un « fonds commun » de sujets possibles. Mais tout est question d’appréciation souveraine des juges du fond qui n’hésitent pas, lorsque cela leur semble nécessaire, à recourir à des experts. Avant d’étudier les ressemblances entre les deux œuvres, et non les différences, comme le commande un principe fondamental en propriété littéraire et artistique, les juges examinent les éléments factuels qui entourent chaque création en utilisant un faisceau d’indice. Ainsi, afin de déterminer si l’œuvre soit disant contrefaite est originale, les juges commencent par une recherche d’antériorité aux deux œuvres. Ils recherchent ensuite les éléments chronologiques et géographiques qui relient ou séparent la création des deux œuvres. Enfin ils apprécient les ressemblances uniquement.
C’est la démarche que le TGI a appliqué dans l’affaire du film de Claude Zidi « La Totale » et de son remake « True Lies », dans une décision du 1er juin 2011. En effet un scénariste avait écrit en 1981 un scénario intitulé « Emilie » retraçant l’histoire d’un homme se faisant passer pour un espion dans le but de séduire une femme. Ledit scénariste avait par ailleurs chargé une agence artistique de le placer auprès de sociétés de productions cinématographiques. Le tribunal a tout d’abord rejeté sa demande aux motifs que les similitudes entre les deux scénarii correspondaient à un enchainement de situations de la vie courante ou d’éléments annexes qui s’imposaient par la nature du sujet. En effet rien d’anormal à ce qu’on mette en scène des filatures dans un film d’espionnage ou à ce qu’on représente des crises de jalousie d’un époux dans une comédie de moeurs. Mais le film incarnait justement la fusion de ces deux genres et partant de thèmes courants, c’est par la manière de les traiter qu’il a gagné son originalité, faisant de ces personnages et de ces péripéties des « éléments caractéristiques essentiels » que le juge ne nomme pourtant pas et que l’on retrouvait dans les deux œuvres. La contrefaçon a par conséquent été reconnue en appel car la suppression de ces éléments, considérés comme étant « les moteurs de l’histoire », aurait entrainé la perte de toute « raison d’être » de celle ci.
La contrefaçon d’un scénario par un film est donc possible mais à condition que des similitudes se retrouvent dans la composition du scénario ou dans la structure globale (Arrêt Léon : Cour d’Appel de Paris, 27 juin 2001, Franck Gerardi c/ Luc Besson ) ainsi que dans les éléments qui, outre les personnages, sont caractéristiques et essentiels, c’est à dire le « moteur de l’histoire » ou « sa raison d’être », qui correspondent, comme l’avait développé l’arrêt Léon, à l’intrigue et aux mécanismes et ressorts de l’histoire. Mais il faut se méfier de toute similitude car un simple détail de mise en scène, s’il est reproduit à l’identique, peut également faire condamner un contrefacteur (Décision Séraphine, TGI de Paris, 26 novembre 2010). Rappelons pour finir qu’une œuvre est protégée dès sa création, et non à partir de sa divulgation publique. Par conséquent c’est au contrefacteur de prouver qu’il n’a pu accéder à l’œuvre qu’il est accusé d’avoir contrefaite ou que les similitudes existantes entre les deux œuvres procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune (Première chambre civile de la Cour de Cassation, 2 octobre 2013, n°12-25941).
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