Le Direct to VOD, entre tensions et attentes
Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Le Direct to VOD, entre tensions et attentes

En 2017, le Festival de Cannes étonnait en matière de VOD en incluant dans la sélection officielle deux films produits par Netflix et destinés à ne pas sortir dans les salles : « Meyerowitz Stories » de Noah Baumbach et « Okja » de Bong Joon-Ho. Cette situation avait occasionné de nombreuses réactions et le festival annonçait par la suite en 2018 qu’il était désormais prévu que -tout film sélectionné officiellement pour le Festival de Cannes devra pouvoir sortir dans les salles françaises, ce qui exclut les films dont la sortie direct to VOD est obligatoire.

Cette situation a notamment soulevé des difficultés s’agissant des films produits par Netflix, qui ne souhaite pas les sortir en salles et notamment « Roma « de Alfonso Cuaron qui était pressenti pour la sélection officielle. Le festival comme le diffuseur sont restés intransigeants, entrainant l’absence remarquée de Netflix.

Ted Sarandos, en charge des contenus sur Netflix a déploré cet état de fait, et vivement critiqué la position prise par le Festival en avançant que « Le festival de Cannes a choisi de célébrer la distribution plutôt que l’art cinématographique. Nous sommes à 100% en faveur de l’art cinématographique et tous les autres festivals dans le monde aussi. Nous espérons que le festival va se moderniser. » Thierry Frémaut a par la suite tempéré ce point de vue en estimant qu’il était peu compréhensible que Netflix refuse la sélection hors compétition, alors que celle-ci ne requiert pas de sortie salle.

La question posée par, l’existence même de tels films soulève de nos jours les limites de la définition d’un film de cinéma, et la place de la diffusion VOD en matière de création audiovisuelle ainsi que de celle des nouveaux acteurs que sont les plateformes de diffusion numérique (Netflix, Amazon Prime Video, e-cinema.com…), s’agissant tant de la diffusion que de la production.

  • Une stratégie pour contrer la chronologie des médias et des problématiques territoriales

En France, un délai est imposé entre la sortie d’un film au cinéma et sa diffusion sur d’autres supports (télévision, vidéo, VOD…). Ce système permet de réserver des « fenêtres de diffusion » pour les distributeurs de films en salles et pour les chaines qui peuvent ainsi rentabiliser l’investissement qu’ils font dans la production des films (lien chronologie des médias). Les délais imposés par la chronologie des médias datent, et de nos jours décriés comme étant trop longs pour bons nombre d’acteurs de la filière, sans toutefois que ceux-ci ne parviennent à se mettre d’accord sur de nouvelles dispositions, en discussion depuis une dizaine d’années. On notera notamment que ce délai se porte à 36 mois à compter de la sortie salle pour les services de VOD par abonnement. Cette durée est moindre pour la VOD à l’acte (4 mois) et peut être abaissée jusqu’à 4 semaines sur demande de dérogation spécifique, mais reste incompatible avec une exploitation immédiate sous VOD. Aussi, la primo-diffusion de films en VOD sort ces œuvres du circuit des œuvres cinématographiques ce qui permet de ne pas leur appliquer la chronologie des médias. Si le producteur souhaite une sortie en salle, il peut également ou renonce à une sortie direct to VOD en France, pour se concentrer sur d’autres territoires. Lorsque ces films sont hors circuit des œuvres cinématographiques, ils peuvent par ailleurs bénéficier de publicités télévisées, ce qui est interdit pour les œuvres cinématographiques.

  • Un marché VOD en expansion

Ces dernière années, le marché de la vidéo physique est en baisse constante et en 2017 le marché de la vidéo (physique et dématérialisée) a atteint son plus bas niveau depuis 1989. En revanche, on constate la nette progression du marché de la vidéo à la demande et le chiffre d’affaire de la vidéo à la demande augmente de 32,3% par rapport à 2016. On note que les dépenses en programmes dématérialisés représenteraient plus de 20 % des dépenses totales des foyers français en matière de programmes audiovisuels.

Dans ce contexte, le CNC a mis en place des aides automatiques et sélectives à la diffusion à la demande ouvertes aux éditeurs de services de vidéo à la demande accessibles en France, cependant aucun dispositif n’est spécialement dédié à la primo-diffusion en VOD. Cela s’explique notamment par le fait que traditionnellement le Direct to-Video est déconsidéré en France. Néanmoins, on peut espérer, et constater dans une certaine mesure, une évolution des mœurs. La VOD semble prendre un grand essor populaire, avec la création notamment d’un Festival de la VOD sous l’égide du CNC.

Dès 2015, Grégory Strouk chez Wildbunch avait souligné la nécessité de considérer le Direct to-VOD comme un véritable support et précisait que « si on ne sort que des films de seconde catégorie en e-cinéma, alors ce n’est malheureusement pas un modèle. »

Il s’agit de développer un nouveau support de diffusion et non de « limiter la casse » pour des films ne pouvant sortir en salles. On notera que cela est encore vrai à ce jour, bien que des efforts ont pu être réalisés par Netflix pour produire du e-cinéma exclusif et de qualité, l’audience reste nettement inférieure sur la plateforme pour ce type de contenu en rapport avec les séries audiovisuelles. Dans ce contexte, on peut souligner la mise en ligne le 1er décembre 2017 du site e-cinema.com qui depuis son lancement sort un film étranger inédit par semaine. La plateforme a également annoncé lors du festival de Deauville qu’elle souhaiterait investir dans la production en France, sur des projets pointus et aux budgets relativement bas (1,5/2 millions d’euros).

On constate un marché en pleine progression, qui offre non seulement un nouvel espace de visibilités aux œuvres audiovisuelles mais également des nouvelles possibilités en termes de production, ce quand bien même bon nombre de professionnels du secteur semblent encore réfractaires à l’idée de se passer d’une première exploitation salle, et ce à commencer par le réalisateur, qui en signant un contrat de cession de droits pour la production d’un long-métrage cinématographique, oblige le producteur à recueillir son accord pour renoncer à une première diffusion en salle. On notera à ce titre que les contrats peuvent par avance prévoir cette acceptation, ce qui, dans l’intérêt de la production, peut être utile sur les films finançables par les plateformes tel que Netflix ou Amazon.

  • Des investissements tangibles

Les acteurs de la VOD, au delà de l’achat de droits VOD auprès des producteurs, permettant de financer en partie les films, s’investissent également dans le développement et la production d’œuvres originales.

Nous l’avons évoqué : Netflix est un producteur de contenus originaux, cela concerne la production de séries mais également celle de films unitaires. Pour l’année 2018, la société a annoncé des dépenses entre 7 et 8 milliards de dollars répartis entre ses acquisitions de droits et le développement et la production. Le fondateur de la société, Reed Hastings a ainsi pu avancer « Notre futur dépend principalement de nos contenus originaux ». Cette stratégie est confortée par une reconnaissance croissante, le producteur a en effet été récompensé lors de la cérémonie des Oscars pour son court-métrage documentaire « White Helmets ».

Dans ce contexte, la production française n’est pas en reste et Reed Hasting a clairement annoncé dès 2017 que « (leur) stratégie est de produire volontairement du contenu français et d’investir dans la création, afin d’apaiser les tensions avec le secteur » et d’accroitre considérablement leurs investissements. En témoigne la sortie sur la plateforme de« Blockbuster » de Julie Hygreck en début d’année ou de « Je ne suis pas un homme facile » d’Eléonore Pourriat en avril dernier, tous deux coproduits par deux société françaises.

Du côté des séries, des acteurs majeurs ont engagé des productions dédiées à l’exploitation en VOD. Les exemples sont nombreux. On retrouve de nombreuses productions chez Netflix notamment s’agissant de la production française les 2 saisons de « Marseille » et la première saison d’« Osmosis », adapté d’une web série d’Arte, qui sortira sur la plateforme en 2019. Peuvent aussi être évoqués Apple qui a contracté avec une des sociétés de Steven Spielberg pour produire « Histoires Fantastiques » ou Amazon Prime Video développe une série sur l’univers du Seigneur des Anneaux…

Avec une croissance du nombre d’acteurs, de leurs investissements et de leur reconnaissance, émergent simultanément un nouveau marché et un nouveau processus de diffusion et de création qu’il est important de considérer en tant que producteurs mais aussi en tant qu’auteurs, d’autant plus qu’on notera que le chiffre d’affaire de la SVOD a progressé en France de 90 % entre 2016 et 2017 selon une étude du CNC de mai 2018, laissant entrevoir des perspectives de consommation des films importantes. Il convient d’encadrer ces nouveaux modes de production et de diffusion par des contrats adaptés prenant en compte les spécificités et défendant un équilibre entre les différents acteurs

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