Avec la démocratisation des diffusions d’émissions en ligne ou sur les réseaux sociaux et leur diffusion internationale accrue, l’importance des formats audiovisuels est croissante. Les émissions se déclinent sous des formes et concepts diverses, dont la protection pose question pour leurs auteurs et producteurs.
La question de l’étendue de la protection juridique des formats audiovisuels est essentielle puisqu’elle conditionne la reprise des formats par des tiers et notamment les possibilités d’action des producteurs et auteurs en cas d’exploitation non consentie de leurs formats.
La définition du format
Les formats audiovisuels sont divers et forment aussi bien la trame de fond des jeux télévisés que des émissions de plateaux ou de télé-réalité, mais également de séries de fiction construites selon une trame identique.
Il n’existe pas de définition légale, réglementaire ou conventionnelle du format audiovisuel mais des définitions jurisprudentielles ont été apportées et sont reprises dans les jugements de manière identiques ou similaires depuis les années 90.
A titre d’exemple, s’agissant d’un conflit relatifs aux émissions The Great British Weather Show et Météo à la Carte, la Cour d’Appel de Paris définit e format comme « une sorte de mode d’emploi qui décrit un déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est préétabli, la création consistant, en dehors de la forme matérielle, dans l’enchaînement des situations et des scènes, c’est-à-dire dans la composition du plan, comprenant un point de départ, une action et un dénouement, le format constituant un cadre au sein duquel l’œuvre va pouvoir se développer ». (CA Paris Pôle 5 – chambre 2, 1er juin 2018, n° 17/00610).
S’agissant de la fiction, la SACD apporte également un éclairage en définissant la bible littéraire comme le document de référence original et fondateur d’une série qui décrit les éléments nécessaires à l’écriture des épisodes d’une œuvre télévisuelle en détaillant les éléments permanents indispensables au développement de la série : cadre général dans lequel évolueront les personnages, les éléments dramatiques communs, les lieux, les thèmes, la progression dramatique, la description détaillée des personnages principaux et de leurs relations, indiquant que cela est distinct du simple concept ou de l’idée.
Au vu de ces définitions, le format doit être suffisamment abouti et formalisé pour bénéficier de la protection du droit d’auteur et cette dernière difficile à obtenir.
La protection des formats audiovisuels par le droit d’auteur
En matière de droit d’auteur le principe est simple : le statut d’œuvre protégée par le droit d’auteur est accordé à un format audiovisuel seulement si celui-ci rempli le caractère d’originalité et ne relève pas d’une simple idée de libre parcourt.
La démonstration de l’originalité peut être difficile pour les formats audiovisuels, qui sont des documents relativement brefs et synthétiques et les formats se voient régulièrement refuser la protection, notamment quand les éléments mis en avant sont de simples concepts ou moyens.
Par exemple, le principe d’interactivité dans un jeu télévisé n’était pas un élément original « une personne physique ou morale ne peut s’approprier en aucune façon la simple utilisation de moyens techniques nouveaux, cette utilisation n’étant pas en soit, originale ». (Cass 1ere Civ. 7 nov. 2006 SA Diffusion Corse du Livre c/ Perigot).
En revanche, la protection a été accordée au format de la Carte aux Trésors au motif qu’il reposait « sur une règle précise et originale, à savoir une compétition entre deux candidats circulant en hélicoptère au-dessus d’une région de France, recherchant des morceaux de carte dont la reconstitution permet de tracer une rose des vents au centre géométrique de laquelle se trouve un trésor, le tout à l’aide d’un ordinateur portable permettant la consultation de l’énigme, de la documentation, de l’aire de jeu, etc. », règle matérialisée dans des « manuscrits qui mettent en forme l’idée originale de jeu, détail des éléments caractéristiques essentiels de l’œuvre finale et reprennent les éléments du jeu pour les scénariser » (Tribunal administratif de Paris du 10 juillet 2003).
Il faut ici relever que les décisions récentes se montrent globalement très sévères.
Dès 2009, les juges ont refusé la protection à des formats qui n’étaient pas définis de manière assez détaillée et complète car les projets ne comportaient pas d’indication sur « le cadre de l’émission, sur la place et le rôle de l’interviewer, sur la manière de filmer décor et personnage » ou que le format n’était pas formalisé par « un générique, un décor, une présentation détaillée des personnages, des scènes, des questions prévoyant une progression jusqu’à la conclusion » (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 12 nov. 2009, N. D. c/ SA Métropole Télévision ;TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 19 mai 2009, Sophie Davant et al. c/ SARL Les baladeurs d’images et al).
S’agissant de la fiction, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a également jugé que « L’idée d’un format court mettant en scène un duo d’hôtesses d’accueil dans le hall de réception d’une entreprise, hôtesses échangeant à bâtons rompus des propos humoristiques sur des thèmes divers n’est pas en elle-même susceptible d’appropriation au titre du droit d’auteur, seule la formalisation de celle-ci qui ressort des divers épisodes fournis est susceptible de protection au titre du droit d’auteur » (TGI Nanterre, 16 juin 2016).
Par ailleurs, même lorsque la protection est reconnue, sa mise en œuvre reste compliquée car il est nécessaire de démontrer que les éléments protégés ont effectivement été repris dans l’œuvre nouvelle.
Dès 1998 l’arrêt Divertissimo c/ Sportissimo qui a reconnu de manière innovante la protection du format de l’émission Divertissimo a néanmoins écarté la contrefaçon car « la combinaison d’épreuves de connaissance et d’adresse physique relève de l’idée (…) ; les ressemblances entre « Divertissimo » et « Sportissimo » relèvent de traits inhérents à l’ensemble des jeux télévisés et non appropriables à titre privatif, (…) les différences entre les deux œuvres dépassent et conjurent largement les ressemblances fortuites (…) ; elles excluent la contrefaçon même partielle (…) »
Une affaire très récente illustre encore cette difficulté scénario dans un conflit entre un l’auteur du scénario Paris Invisible et le producteur de la série documentaire Paris Mystères. La cour d’appel de Paris admet l’originalité du scénario en raison d’un agencement et de développements originaux mais juge en revanche que les ressemblances invoquées ne ressortent que « des idées ou de caractéristiques banales » et rejette la contrefaçon (CA PAris, pôle 5, ch. 2, 8 oct. 2021, n° 19/14879 X c/ Sté Bonne Pioche Production).
Ces réticences de la part des juridictions rendent difficile de protéger et d’exercer effectivement la protection des formats par le droit d’auteur et amène à envisager une protection sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme.
La protection des formats par l’action en concurrence déloyale et le parasitisme
La concurrence déloyale et le parasitisme sont des actions de droit commun, qui peuvent trouver applications s’agissant de la reprise de formas audiovisuels.
Dans ce cadre, le demandeur doit démontrer que les conditions de reprise d’un format constitue effectivement un acte de concurrence déloyale généralement en prouvant l’existence d’un risque de confusion entre les deux émissions.
Ainsi en 2006 s’agissant des Marches de la Gloire, la Cour a estimé qu’ « il n’est pas acceptable de plagier l’émission d’un concurrent, en adoptant, outre le thème, la construction, le découpage et la durée, la structure des séquences et le style de présentation. (…)TF1 a utilisé les mêmes présentateurs et le même cinéaste alors que ceux-ci n’avaient pas rompu tout lien avec Antenne 2 (…). La diffusion par TF1 de l’émission « les marches de la gloire » (…) constitue un acte de concurrence déloyale.»
Soulignons que les tribunaux ont plutôt tendance à sanctionner la copie servile que le simple emprunt et que la seule existence de ressemblances ou de thèmes communs entre des formats d’émissions est insuffisante.
L’action en concurrence parasitaire peut également être considérée et permet de sanctionner l’emprunt d’éléments caractéristiques d’un format en vue de tirer profit des efforts de son concurrent ou de la réputation de son émission sans avoir à démontrer l’existence d’un risque de confusion. Le demandeur doit alors apporter la preuve des emprunts et du préjudice qu’il subit de ce fait.
C’est ainsi qu’ un arrêt de la Cour d’appel de Paris a sanctionné au titre du parasitisme Carson Prod qui avait coproduit deux émissions musicales avec France Télévisions : Les Chansons d’abord et Du côté de chez Dave et octroyé au demandeur 40 000 euros de dommages et intérêts ( CA Paris 22 octobre 2019) .
La Cour a rejeté la contrefaçon car le demandeur ne faisait que définir « un ensemble d’idées ou d’intentions, qui peuvent s’appliquer à de nombreuses émissions de variétés, ou un concept, non protégeable par le droit d’auteur. » mais a fait droit aux demandes de condamnation pour parasitisme, en relevant que les émissions litigieuses reprenait plusieurs caractéristiques de l’émission initiale « Chabada » comme les choix artistiques, le choix du décor ou la répartition des musiciens sur le plateau.
Si cette décision est intéressante pour les auteurs et producteurs souhaitant défendre la reprise de leurs formats, les juridictions restent néanmoins très exigeantes pour reconnaître des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Ainsi, s’agissant des émission Le Zapping (Canal +) et Vu (France Télévisions), les demandes de la chaine cryptée ont été rejetées.
Canal+ invoquait que France Télévisions avait produit l’émission Vu suite à l’arrêt du Zapping et en reprenant le concept, le mode de construction, l’état d’esprit et le même format. Les juges ont rejeté l’application de la concurrence déloyale en soulignant que les émissions de « zapping » sont un genre établi et que les similitudes observées sont donc légitimes pour ce genre d’émissions. (TC Paris, 21 octobre 2019, Groupe Canal + c/ France Télévisions).
On relève par ailleurs que dans de nombreuses affaires, l’absence de reconnaissance d’une contrefaçon amène également au rejet des demandes en concurrence déloyale et parasitisme.
Ainsi s’agissant de Paris Invisible et Paris Mystères, le demandeur invoquait à titre subsidiaire le parasitisme en soulignant avoir été à l’origine du projet avant que le producteur ne rompe le contrat d’auteur.
Les juges ne suivent pas cette logique et tranche que « le producteur a mis fin au contrat avec l’auteur comme il y était autorisé et rien ne lui interdisait de produire une série sur un thème similaire quelques années plus tard, celui-ci étant « de libre parcours ». et que le producteur « il a été ci-avant démontré que le sujet a été abordé de manière différente ». (CA PAris, pôle 5, ch. 2, 8 oct. 2021, n° 19/14879 X c/ Sté Bonne Pioche Production).
Plus récemment le parasitisme a été accepté mais s’agissant de formats audiovisuels déjà exploités.
Ainsi, la reprise par un opérateur publicitaire de la vidéo d’Inès Reg « Mets des paillettes dans ma vie, X. ! », mise initialement en ligne sur Instagram a été sanctionnée sur ce seul fondement.
Les juges refusent à la vidéo la protection du droit d’auteur car il s’agit d’une captation dans laquelle l’humoriste s’est contentée « de saisir l’instant sans avoir ni la volonté ni même la conscience de créer » mais admettent ensuite l’usage parasitaire qui en a été fait par l’annonceur, sans aucun effort et afin de bénéficier du travail et de la notoriété de l’humoriste. La condamnation se limite à 2000 euros de dommages-intérêts, la publicité ayant été retirée très rapidement après la mise en demeure de l’annonceur (TJ Paris, 3ème ch. 2e sect. 16 avr. 2021, n°19/14555 I. Reg et X. c/ SAS Sixt ).
A la suite, Konbini a également obtenu condamnation d’un candidat à la mairie de Cabourg pour la reprise du format d’émission « Fast & curious » dans un clip de campagne intitulé Fast & Cabourg ( TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 1er juill. 2021, n° 20/03225, SAS Konbini c/ I.).
Dans cette affaire, Konbini n’invoquait que le parasitisme et a obtenu gain de cause, au motif que la vidéo de campagne reproduisait « à l’identique l’ensemble des caractéristiques du format à savoir un enchaînement rapide et rythmé de questions sous la forme de propositions de réponses binaires, présentées ensemble, horizontalement, sur plein écran, en blanc sur fond noir et en noir sur fond blanc, et posées à un invité, seul visible, face caméra ». et s’est vue attribuée 15 000 € de dommages-intérêts.
En conclusion, les scénaristes d’émissions comme les producteurs ont intérêt à formaliser par écrit de façon précise leur concept d’émission et de format avant de le communiquer et doivent envisager de manière large leur stratégie de défense en cas de reprise du format par un tiers car la protection des formats télévisés est délicate à obtenir comme à mettre en œuvre. Dans ce cadre, il est nécessaire de prendre contact avec un avocat spécialisé afin d’élaborer la meilleure stratégie possible au vu de la situation.
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