Les nouvelles obligations de financement des plateformes VOD
Sébastien Lachaussée, Frédéric Goldsmith et Elisa Martin-Winkel

Sébastien Lachaussée, Frédéric Goldsmith et Elisa Martin-Winkel

Les nouvelles obligations de financement des plateformes VOD

La grande réforme de l’audiovisuel présentée fin 2019 par l’ancien ministre de la Culture Franck Riester annonçait parmi ses mesures phares une contribution des plateformes à la production audiovisuelle et cinématographique française. A la suite de la crise sanitaire, le calendrier a cependant été chamboulé, et la réforme législative a été remplacée par une ordonnance[1] et un décret. Dans ce cadre, en octobre 2020, un projet de décret et une consultation publique ont été rendus publics s’agissant des obligations des services de médias audiovisuels à la demande (plateformes VOD et SVOD) en matière de contribution au financement de la production d’œuvres audiovisuelles et d’œuvres cinématographiques.

Le projet de décret a été modifié à la suite de la consultation publique et transmis pour avis au CSA, d’une part, et notifié à la Commission européenne le 18 décembre 2020, d’autre part. Il est entendu que sa publication, après examen par le Conseil d’Etat, est envisagée au cours du printemps 2021.

Le projet transmis organise les contributions des plateformes à la production audiovisuelle et cinématographique tel que détaillé ci-après, enjeu crucial pour la pérennité du financement du cinéma et de l’audiovisuel dans un contexte où la crise sanitaire a renforcé la migration de la consommation des œuvres vers les plateformes VOD et SVOD. Nous essayons ici d’en extraire les grandes lignes.

A – Plateformes SVOD

A la suite de la consultation publique, le projet de décret a été simplifié et ne prévoit plus que deux taux de contributions annuelles (contre trois initialement avec trois délais de diffusion) assises sur le chiffre d’affaires annuel net réalisé en France au cours de l’exercice précédent par l’éditeur du service concerné et affectés à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française, au moins égale à :

   – 25 % lorsque la plateforme SVOD propose annuellement au moins une œuvre cinématographique de longue durée dans un délai inférieur à douze mois après sa sortie en salles en France ;

   – 20 % dans les autres cas.

Il est utile ici de constater qu’aucun délai n’est prévu s’agissant de la mise à disposition d’une œuvre cinématographique par un service de SVOD après sa sortie en salle mais seulement une distinction selon que la mise à disposition sur le service a lieu ou non moins de douze mois après cette sortie en salles. Cela renvoie donc le soin de fixer ce délai à l’accord sur la chronologie des médias. Il faut noter que le délai pivot de mise à disposition du public par un service de SVOD a été très avancé par rapport à la première version du décret qui mentionnait 25 mois au lieu de 12.

Il est précisé que :

   -Pour les services qui ne sont pas établis en France, le chiffre d’affaires annuel net pris en compte est celui réalisé sur le territoire français.

   -Lorsque l’éditeur de la plateforme SVOD fait partie d’un groupe de distribution, le CA de l’éditeur est évalué à au moins 50 % des recettes perçues par le distributeur auprès des usagers si ce service spécifique fait l’objet d’un abonnement.

   -Lorsque l’utilisateur du service bénéficie, sans pouvoir y renoncer, de services complémentaires d’une autre nature ne requérant pas la souscription d’un abonnement (Ex Amazon), la convention à négocier avec le CSA fixe la part du chiffre d’affaires qui doit être prise en compte en tenant notamment compte de la valeur économique du service au sein de l’offre composite et des usages de valorisation en la matière. Le chiffre d’affaires retenu est, à défaut d’accord avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, celui résultant de l’ensemble de ces services.

   -Les conventions et les cahiers des charges établis avec le CSA, déterminent les parts de cette contribution consacrées aux œuvres cinématographiques et aux œuvres audiovisuelles, avec un plancher établi à 20 % de la contribution totale dans un sens comme dans l’autre, plancher passant à 30% au profit des œuvres cinématographiques dans le cas d’une contribution à 25% du CA net HT ; ce plancher n’est toutefois pas applicable si le service met à disposition annuellement moins de dix programmes.

   -Pour la part de la contribution consacrée aux œuvres cinématographiques, seules les dépenses engagées au titre de l’exploitation de ces œuvres en France sont prises en compte. Ces dépenses sont identifiées dans les contrats et leur valorisation ne peut excéder 75 % de l’ensemble des dépenses engagées lorsque des dépenses sont engagées au titre de l’exploitation sur d’autres territoires.

   -Pour la part de la contribution consacrée aux œuvres audiovisuelles, les dépenses sont prises en compte lorsqu’elles sont engagées au titre de l’exploitation de l’œuvre en France ou sur d’autres territoires sur lesquels le service est exploité.

   -85 % au moins des dépenses doivent être consacrées à la contribution au développement de la production sont réservées à des œuvres d’expression originale française.

Par ailleurs, la convention avec le CSA précise les conditions d’accès des ayants droit aux données relatives à l’exploitation de leurs œuvres et notamment à leur visionnage.

B – Plateformes VOD

Les services autres que télévision de rattrapage et SVOD, consacrent chaque année :

   -15 % au moins du chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent résultant de l’exploitation d’œuvres cinématographiques à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques européennes, dont au moins 12 % à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques d’expression originale française ;

   -15 % au moins du chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent résultant de l’exploitation d’œuvres audiovisuelles autres que celles mentionnées au premier alinéa du V de l’article 1609 sexdecies B du code général des impôts à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres audiovisuelles européennes, dont au moins 12 % à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres audiovisuelles d’expression originale française.

C- Autres dispositions :

Le décret prévoit encore  :

   -Une exonération des obligations de financement pour toute plateforme qui réalise un maximum de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires et représente au plus 0,5 % de l’audience totale en France de la catégorie de services de médias audiovisuels à la demande dont elle relève.

   -Une diminution de la contribution des plateformes :qu’il s’agisse de services de SVOD ou de VOD, si le chiffre d’affaires annuel net de l’éditeur est inférieur à 10 millions d’euros, les obligations sont réduites d’un quart et en tout état de cause, pour la première application des obligations à un éditeur de service, celles-ci sont réduites de moitié la première année et d’un quart la seconde ; il est cependant entendu que cette seconde dérogation est temporaire et n’est pas applicable aux éditeurs de services dont l’offre est commercialisée depuis plus de trois ans à compter de l’entrée en vigueur du décret.

   -Une définition des dépenses prises en compte : le décret définit les dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française qui comprennent notamment le préachat de droits d’exploitation, l’investissement en parts producteur, le financement de travaux d’écriture et de développement, l’achat de droits d’exploitation… Toutefois, pour les services de SVOD réalisant plus de 50 millions d’euros de CA annuel, les préachats doivent représenter au minimum 75% de l’obligation de financement des œuvres audiovisuelles et 60% de l’obligation de financement des œuvres cinématographiques (montant à 80% dans le cas d’un services mettant à disposition des films moins de douze mois après leur sortie en salles).

   -Une définition des œuvres relevant de la production indépendante, en particulier : limitation à 12 mois (œuvres de cinéma) ou 36 mois (œuvres audiovisuelles) de la durée d’acquisition exclusive des droits par        territoire ;absence de parts de producteur ; limitation à un mandat de commercialisation pour les œuvres cinématographiques ou absence de mandat de commercialisation pour les œuvres audiovisuelles ; absence de participation au capital / aux votes de la société de production.

   -Un quota d’au moins trois quarts des dépenses de préachat d’œuvres cinématographiques doit être consacré au développement de la production indépendante d’œuvres européennes.

   -Un quota d’au moins deux tiers des dépenses au bénéfice d’œuvres audiovisuelles doit être consacré au développement de la production indépendante d’œuvres européennes.

   -L’insertion de clauses de diversités dans les cahiers des charges avec les opérateurs, dont les termes sont à négocier.

D – Rôle accru des accords professionnels

Le décret prévoit par ailleurs un rôle renforcé pour les accords professionnels conclus par les organisations représentatives des secteurs de l’audiovisuel ou du cinéma, ainsi que par les organismes d’auteurs pour les sujets qui affectent directement leurs intérêts. Ainsi, ils peuvent en effet être pris en compte dans les conventions conclues par le CSA ou les cahiers des charges pour :

   -prévoir que la contribution de l’éditeur de services au développement de la production peut être définie globalement, respectivement pour le cinéma et pour l’audiovisuel, pour plusieurs services de médias audiovisuels à la demande ou de télévision d’un même groupe 

   -déroger dans une certaine limite aux proportions minimales d’œuvres d’expression originale française ou issues de la production indépendante européenne 

   -accroître la proportion possible de dépenses consacrées au doublage, au sous-titrage ou à la formation des auteurs 

   -valoriser plus particulièrement le patrimoine audiovisuel ou cinématographique 

   -instaurer des droits à recettes pour le service au titre de l’exploitation d’œuvres audiovisuelles dans lesquels il a investi 

   -permettre de reporter une partie de l’obligation d’un service sur les exercices suivants.

L’ordonnance n° 2020-1642 adoptée pour transposer la directive Services de média audiovisuel (SMA) dans la loi de 1986 relative à la liberté de communication pour la partie nécessitant des modifications législatives, organise notamment l’assujettissement des services de télévision et de médias audiovisuels à la demande étrangers mais ciblant le territoire français au régime de contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, qui s’appliquait jusque là aux seuls éditeurs français.

Il est ainsi entendu que le CSA sera chargé, une fois le décret SMAD promulgué, de conclure les conventions nécessaires avec les plateformes. À défaut de convention conclue avec le CSA, celui-ci notifiera à la plateforme concernée l’étendue de ses obligations au titre de la contribution à la production et des conditions d’accès des ayants droit aux données relatives à l’exploitation de leurs œuvres. A cet égard, M. Roch-Olivier Maistre, Président du CSA, a déclaré devant le Sénat estimer que l’ensemble du dispositif sera opérationnel « à compter de la fin du premier semestre 2021 ».

L’ordonnance prévoit également que, dans certaines conditions, une œuvre ne peut pas être prise en compte au titre de la contribution au développement de la production des œuvres cinématographiques et audiovisuelles lorsque le CSA constate que des clauses des contrats conclus pour sa production ne sont pas compatibles avec les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à la protection des droits moraux et patrimoniaux des auteurs. A noter que le projet de décret tel qu’il a été transmis à la Commission européenne peut encore être modifié.

Notamment, s’agissant des modalités d’intégration de ce nouveau texte à la chronologie des médias, aux termes de l’article 28 de l’ordonnance précitée le gouvernement a laissé un maximum de six mois aux professionnels pour s’entendre sur une révision de cette chronologie.

Ainsi, le décret n° 2021-73 du 26 janvier 2021 a fixé au 31 mars 2021le délai de renégociation de l’accord professionnel du 6 septembre 2018 relatif à la chronologie des médias, à l’issue duquel il pourra en cas d’échec des négociations, établir temporairement la durée et les modalités des fenêtres d’exploitation qui ne résultent pas de la loi.

Le futur décret SMAD semble ainsi garantir la contribution des plateformes françaises et internationales à la production d’œuvre cinématographique et audiovisuelle françaises, européennes et indépendantes.

En ce sens, l’ensemble des organisations représentant les producteurs de cinéma (API, SPI, UPC), ainsi que celles représentant les cinéastes (ARP, SRF) se sont déclarés « globalement satisfaits de cet arbitrage politique majeur, qui crée un socle de régulation solide ouvrant la voie à une négociation équilibrée entre l’industrie cinématographique et les plateformes, principalement américaines. Ce décret leur permettra de contribuer à la création au même titre que les diffuseurs historiques du cinéma français. »

Reste à présent à attendre le retour de la commission européenne et les résultats des négociations d’accords interprofessionnels, dont celui portant sur la chronologie des médias, avant de découvrir au printemps le modèle effectivement mis en place. D’ores et déjà, Canal + a fait part de son hostilité à toute réduction de sa fenêtre d’exclusivité, ce qui nuirait à son modèle économique. En tout état de cause il faudra au moins une année d’application du dispositif pour en analyser les effets sur la production audiovisuelle et cinématographique française.

[1] Ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020

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