En février 2024, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que la synchronisation d’une chanson sous forme d’extraits dans un film ne constitue pas in fine une atteinte au droit moral de l’auteur.
Cette décision rendu dans une affaire opposant les producteurs du film de long-métrage « Alibi.com » aux auteurs de la chanson « Partenaire particulier » dont deux extraits font partie de la bande originale du film, nous donne l’occasion de revenir sur le droit moral des auteurs, compositeurs et interprètes d’œuvres musicales et des difficultés que cela peut soulever dans le cadre de leur synchronisation dans des œuvres audiovisuelles.
Droit moral des auteurs, compositeurs et interprètes
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit au bénéfice des auteurs, comme des artistes-interprètes un droit moral sur leur création et interprétation.
Ainsi, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne, perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est ainsi admis que ce droit est transféré aux héritiers.
L’artiste-interprète a le droit de la même manière au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Le législateur précise clairement à cet égard que le droit moral de l’artiste est transmissible à ses héritiers pour la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt.
Le droit au respect de la qualité et du nom impose que les auteurs, compositeurs et interprètes d’une musique soient crédités lors de son exploitation. Dans le cadre de la musique de film, il est généralement admis que les crédits correspondants apparaissent au générique de fin, et cela ne pose que peu de difficulté.
En revanche, le droit au respect de l’œuvre et de l’interprétation peut être source de plus d’interrogation, les œuvres musicales intégrées dans les œuvres audiovisuelles faisant généralement l’objet d’aménagements afin de permettre leur insertion dans la bande-originale du film.
Une jurisprudence variée
En premier lieu, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 28 février 2024, « l’utilisation d’une œuvre musicale par synchronisation dans la bande sonore d’une œuvre audiovisuelle, se faisant nécessairement sous la forme d’extraits, ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et au droit moral de l’auteur ou de l’artiste-interprète ».
Ainsi, un auteur ou artiste-interprète qui invoque une atteinte à son droit moral doit démontrer clairement celle-ci et ne peut se contenter d’avancer que l’œuvre n’est pas reprise en intégralité.
Dans cette affaire, les demandeurs n’ont pas démontré « une altération de la mélodie, du rythme ou encore des paroles de la chanson à raison de la sélection des séquences produites dans la bande sonore du film », ni en quoi la reprise en duo de la chanson par les acteurs du film contrevenait au respect de l’œuvre.
Enfin, la Cour d’appel a rejeté l’argument d’une dénaturation du sens de la chanson par son incorporation dans un film qualifié de vulgaire par les demandeurs, dans la mesure ou ses paroles reposent sur des allusions sexuelles et où les auteurs avaient déjà consenti à une dévalorisation de l’œuvre en autorisant son utilisation dans un spot publicitaire reprenant l’air de la chanson joué avec flûte stridente et des fausses notes.
La Cour rappelle ici la décision déjà prise s’agissant de la chanson de Jean Ferrat « Les petits bistrots », utilisée comme bande son du générique d’un documentaire sur les bistrots parisiens qui bien que par extrait ne rompait ni le rythme, ni la mélodie (TGI Paris, 3e ch., 26 nov. 1997 : RIDA 3/1998, p. 284).
Toutefois, certaines altérations ou conditions d’exploitations ont pu caractériser des manquements à l’intégrité d’œuvres musicales.
Ainsi, en 1990 dans une affaire médiatique opposant M. Rostropovitch à la société de production du film Boris Godounov, le tribunal a jugé que la superposition de certains bruits (crachat, jet d’urine, halètements féminins) à la bande-son de l’opéra portaient atteinte à l’interprétation de l’artiste, en ce qu’ils » égarent l’attention du spectateur « et » dénaturent l’appréciation de l’œuvre interprétée par Rostropovitch « la cour rejetant cependant les demandes fondées sur les variations de volume sonore le tribunal considérant que ces variations de volume étaient rendues nécessaires par les exigences du cinéma ( TGI Paris, 10 janv. 1990 : D. 1991, jurispr. p. 206, note B. Edelman).
Plus récemment, la reproduction d’une chanson altérée par un souffle et un grésillement sur le son des instruments a été considérée comme attentatoire au droit au respect de l’interprétation, le jugement ayant même exigé une interdiction de vente des supports sous astreinte (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 22 mars 2006, Michèle Mercier c/ Sté Universal Music)
S’agissant des coupes et sélection d’extraits, il a également été jugé que l’utilisation comme bande-sonore d’extrait durant 1 minute et 49 secondes tiré d’une œuvre musicale d’une durée de 8 minutes et 3 secondes, portait atteinte à l’intégrité de celle-ci, car au-vu des coupes réalisées « l’effet de crescendo propre au genre de la musique électronique étant anéanti « .
Par ailleurs, le seul changement de destination d’une œuvre peut constituer une atteinte au droit moral.
Ainsi, les juges ont reconnu une telle atteinte pour l’utilisation d’une chanson de Jean Sablon, destinée à un film cinématographique, et réutilisée dans un téléfilm, et ce alors qu’il était mentionné le caractère exceptionnel de la participation du chanteur au film (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 1er juin 2011, Sté France-Télévision c/ PF et a. : RLDI juill. 2011, n° 2419)
De la même manière, il a été décidé que l’utilisation d’une chanson publicitaire dans un film à des fins politique dans une campagne électorale, sans autorisation de l’artiste-interprète constituait une atteinte au droit au respect de l’interprétation, en détournant la détournant de son objet premier de nature publicitaire. (CA Paris, 4e ch., 25 mars 2005, n° 04/03331 : JurisData n° 2005-269259).
Au vu de ce qui précède, il apparait que l’inclusion de musiques dans un film soulève la question du droit moral des auteurs et artistes, au-delà de l’acquisition des droits de synchronisation. Ce respect impose une analyse contextuelle, au vu des œuvres intégrées et des conditions de cette intégration et pourra nécessiter le conseil avisé d’un cabinet spécialisé dans le cadre de la clearance musicale du film.
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