Réouverture des salles de cinéma
Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Sébastien Lachaussée et Elisa Martin-Winkel

Distribution et exploitation : les conditions de réouverture des cinémas

La crise sanitaire a causé de grandes difficultés au secteur de la distribution et de l’exploitation cinématographique, malgré les soutiens apportés à la filière par divers mécanismes. Plus d’un an après la première période de confinement et à la veille d’une réouverture des salles, il apparaît utile de faire le bilan et de revenir sur les dispositifs en place s’agissant de la relance de la distribution de films.

  • Un bilan de la fréquentation des salles alarmant

En 2020, les salles de cinéma sont restées fermées 162 jours et les chiffres de fréquentation sont en conséquence et sans surprise catastrophiques. Le nombre d’entrées en salles a baissé de 30% avec seulement 65,1 millions en 2020.

On peut cependant noter que les films français ont réussi un meilleur maintien en termes de parts de marché et d’entrées. Ainsi, leur recul est de 60,7 % en terme de part de marché, tandis que les productions américaines baissent de 76,7 % et les films français réalisent tout de même 29,2 millions alors que les films américains atteignent seulement 26,6 millions.

Les cinémas ayant été fermés une grande partie du premier semestre 2021, il ne fait pas de doutes que le bilan 2021 ne sera guère plus favorable. Ces chiffres sont très en deçà des 200 millions d’entrées habituels.

A noter que sur 322 millions d’euros d’aides exceptionnelles accordées au cinéma, environ 38 millions ont été fléchés pour les distributeurs permettant de maintenir le secteur, sans toutefois compenser la totalité des effets de la pandémie.

Hélène Herschel du Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques souhaite à cet égard que soit mise en place « une réflexion avec le CNC, le ministère de la culture et Bercy pour définir les outils qui permettront aux entreprises de tenir le coup et de préparer une reprise d’ici à 2022 ».

Par ailleurs, la réouverture des salles risque d’être difficile et de laisser peu de place aux films sortant en salles du fait du nombre de films en attente de sortie.

  • Une réouverture difficile

Les contraintes sanitaires et les jauges imposées créent d’importantes contraintes pour les exploitants et ne permettent pas une exploitation optimale, d’autant plus qu’un couvre-feu est maintenu et empêche les séances tardives.

On peut également relever que  les distributeurs ayant une trésorerie faible après plusieurs mois sans ressources vont être en difficulté pour faire la promotion des œuvres en salle lors de la réouverture et ce d’autant plus que les retours sur investissement envisageables sont faibles au vu des conditions d’exploitation.

Au surplus, de très nombreux films sont en attente chez les distributeurs, ce qui cause d’importants problèmes d’organisation, de visibilité et de durée de vie pour les films.

Alexandre Mallet-Guy, directeur général de Memento Films Distribution, expliquait à ce sujet que « La rotation des films risque d’être accrue, leur visibilité sera moindre. Tous les films vont souffrir ».

L’autorité de la concurrence saisie à cet effet par la médiatrice du cinéma, Laurence Franceschini a autorisé la possibilité d’un plan de sortie concerté.

Toutefois, les négociations entre distributeurs n’ont pas abouti, au vu des grandes divergences entre ceux impliqués dans le cinéma grand public et les distributeurs de films plus fragiles et d’art et d’essai.

Sur ce point, les distributeurs indépendants craignent de subir le comportement des majors, Jean-Jacques Rue d’Urban Film indique notamment « Si le CNC ne prend pas les choses en mains, cela équivaut à laisser les gens faire ce qu’ils veulent ce qui n’a jamais favorisé les bons comportements »

Etienne Ollagnier, Jour 2 Fête, était plus optimiste et rappelait que «  la discussion est ouverte. C’est dans l’intérêt de tout le monde de parvenir à s’entendre. »

Des arbitrages doivent encore arriver dans les prochains jours.

Le CNC et la médiatrice du cinéma ont d’ores et déjà publié des recommandations le 11 mai 2021 afin de gérer notamment la problématique de l’encombrement des écrans.

Les recommandations appellent notamment à « Préserver la diversité de l’offre cinématographique en assurant un accès équilibré des spectateurs aux différents types d’œuvres » et à négocier un « une multiprogrammation pertinente et mesurée ».

Parallèlement, le CNC a mis en place une mesure dérogatoire afin de permettre une sortie des films cinématographiques en dehors des salles de cinéma.                 

  • Une mesure favorisant une exploitation non-traditionnelle des films cinématographiques

Au vu de la situation exceptionnelle et notamment de la fermeture prolongée des salles de cinéma et de la crainte d’un « embouteillage » prévu lors de la réouverture, le CNC a choisi de mettre en place un dispositif spécifique.

Ainsi, de manière temporaire et « après examen au cas par cas de chaque demande, donnant lieu à concertation avec les professionnels » le CNC ouvre la possibilité pour un film de faire l’objet « d’une première exploitation à travers un réseau de diffusion autre que la salle de cinéma à laquelle ils étaient initialement destinés, tout en conservant les aides reçues du CNC ».

Cette mesure se distingue de celle prise en 2020 en ne visant pas exclusivement une sortie en vidéo à la demande à l’acte, mais en s’étendant à l’ensemble des modes de diffusion: DVD, chaînes de télévision, plateformes par abonnement… permettant ainsi de nombreuses possibilités pour les producteurs et distributeurs.

Afin de bénéficier du dispositif, une demande peut être déposée pendant toute la période de fermeture des salles et jusqu’à un mois après la date de réouverture prévue le 19 mai 2021.

Il est entendu que les producteurs pourront conserver le bénéfice des aides obtenues pour les films diffusés dans ce cadre hors des salles mais que cette exploitation ne donnera pas lieu à un calcul de soutien généré qui est conditionné à la sortie de l’œuvre en salles.Cette absence de fonds de soutien pourrait limiter le recours au dispositif par les producteurs pour lesquels il est une ressource très importante.                 

Par ailleurs, le dispositif fait d’ores et déjà l’objet de critiques. Ainsi, Isabelle Madelaine, présidente de l’Union des producteurs de cinéma, relevait que les modalités de ce dispositif étaient inopérantes au vu du très cours délai pour pouvoir déposer sa demande en ayant l’accord de tous les ayants-droits et préfinanceurs, qui sera difficile à obtenir en si peu de temps.     

De la même manière, Sidonie Dumas, pour l’association des producteurs indépendants, indiquait que la dérogation serait utile si elle avait une durée plus longue, de six mois au minimum.       

On constate bien ici que ce dispositif exceptionnel, ne rencontrera peut-être pas le succès escompté.    

Le CNC a précisé que le dispositif vise uniquement répondre à la difficulté rencontrée par le secteur et « à prévenir l’apparition, dans les mois à venir, de difficultés touchant à la régulation du flux des sorties de films » mais sera sans impact sur la chronologie des médias et les négociations en cours.

  • Calendrier de réouverture des salles et conditions de la reprise

La réouverture des cinémas est planifiée à partir du 19 mai et se déroulera en trois étapes, chacune séparée de trois à quatre semaines avec des jauges d’accueil par salle précises : 35% pour la première avec une limite de 800 spectateurs, 65% pour la deuxième et 100% pour la troisième et dernière. La levée des jauges étant prévue le 1er juillet.


Il est entendu que le passage d’une étape à l’autre se ferait de manière automatique.

Les conditions sanitaires sont strictes : port du masque est obligatoire, gel hydroalcoolique sera mis à disposition du public, poignées de portes, sanitaires et salles de cinéma désinfectées régulièrement etc.

Le temps entre chaque séance sera prolongé afin de renouveler l’air de la salle et un sens de circulation permettra d’éviter les croisements entre les personnes.  Les confiseries et boissons seront interdites dans les salles de cinéma à la réouverture, comme dans tous lieux fermés en France – créant un important manque à gagner pour les exploitants.

Les exploitants devront encore composer avec les différentes étapes de couvre-feu mises en place par le gouvernement et se voir en conséquence privés de séances tardives jusqu’à l’été – ce qui risque de limiter fortement le nombre de spectateurs.

En effet, le gouvernement n’a pas suivi les demandes des professionnels s’agissant d’un « horodatage » permettant que les séances prennent fin au-delà du couvre feu qui avait été demandé notamment par la Fédération national des cinéma français.

Il doit encore être rappelé que comme toutes les mesures de déconfinement, la réouverture reste soumise aux conditions locales et demeure donc incertaine sur la durée, particulièrement dans les zones les plus touchées.

En effet, il a été déclaré par l’exécutif que la levée des restrictions pourra être retardée en cas de « situation sanitaire dégradée », notamment dans des départements où le taux d’incidence est durablement supérieur à 400 cas pour 100 000 habitants. Notons toutefois qu’à ce jour tous les départements sont passés sous ce seuil.

Si l’annonce d’une réouverture a été accueillie chaleureusement par les professionnels comme par le public, il reste donc à voir si les conditions sanitaires permettront une réelle reprise, si le public sera au rendez-vous et si les films pourront bénéficier d’une exposition proche de la normale.

 

 

 

 

 

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