Les rues des villes sont couvertes de nombreux graffitis, collages et œuvres de street art qui font partie intégrante du paysage urbain et qu’il est difficile voire impossible d’exclure lors du tournage de films et œuvre audiovisuelles.
A l’été 2023, la Cour d’appel de Paris a condamné La France insoumise pour la diffusion de vidéos de campagne reproduisant l’œuvre de street art « La marianne asiatique » sans l’autorisation préalable de son auteur, l’artiste COMBO (CA Paris, 5 juillet 2023, 21/11317).
Cette décision est venue clarifier les conditions d’applications de l’exception de panorama et nous donne l’occasion de revenir sur la protection des œuvres de street art par le droit d’auteur et sur les difficultés que peuvent engendrer leur insertion dans des œuvres audiovisuelles.
DES ŒUVRES PROTEGEES
La protection des œuvres de street art par le droit d’auteur relève du droit commun et le principe est qu’une une œuvre est protégée par le droit d’auteur si elle originale, c’est-à-dire si elle est empreinte de la personnalité de son auteur et résulte d’un processus intellectuel créatif. Peu importe alors le type d’œuvre : tag, pochoirs, collage, mosaïque …
Parmi les exemples célèbres, la jurisprudence a reconnu l’originalité des mosaïques de l’artiste Invader en jugeant que « la transposition sous forme de carreaux de piscine des pixels du jeu vidéo préexistant, cette formalisation portant l’empreinte de sa personnalité et il importe peu que d’autres artistes aient pu transposer dans d’autres matériaux des créatures pixélisées extraites de jeux vidéo. De même la nature des supports urbains desdits carreaux de piscines scellés dans les murs, et le choix de leurs emplacements portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur » (TGI de Paris, Chambre civile 3, 14 Novembre 2007, 06/12982).
Il doit être relevé que l’article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle en matière de droit d’auteur, qui dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». En ce sens, l’anonymat des street artistes peut rendre difficile leur revendication de droits sur l’œuvre, ces derniers devant prouver leur qualité d’auteur.
Au niveau européen, l’EUIPO a ainsi considéré que la volonté de Banksy de conserver son anonymat induit qu’il ne peut être identifié comme le titulaire incontestable des droits de propriété intellectuelle sur ces œuvres et ne saurait prétendre obtenir l’enregistrement d’une marque reproduisant cette œuvre pour pallier cette difficulté (EUIPO, 14 septembre 2020, n°33843C).
La preuve peut toutefois être apportée par tout moyen et le Tribunal de Paris (RG n°03/04378) a notamment pu juger que le fait de trouver au domicile du suspect un graffiti similaire à celui pour lequel il est incriminé peut-être un indice déterminant de sa culpabilité et donc également de sa qualité d’auteur.
Nous ne nous attarderons pas ici sur les qualifications pénales pouvant s’appliquer au street art, pas plus que sur les difficultés inhérentes aux distinctions entre propriété de l’œuvre et propriété du support – qui ne sont pas au cœur du débat s’agissant de l’incorporation d’œuvres de street art dans des œuvres audiovisuelles, mais qui demeurent néanmoins réelles pour les auteurs de street art.
En revanche, il faut relever qu’au titre du droit d’auteur, l’auteur d’une œuvre de street art est titulaire des droits de représentation et de reproduction et que son autorisation est nécessaire pour l’exploitation de l’œuvre. Il est également titulaire des droits moraux, notamment s’agissant du respect de l’œuvre.
UNE CLARIFICATION DES DROITS NECESSAIRES MAIS DIFFICILE
L’anonymat des street artist évoqué ci-avant peut amener à la qualification d’œuvre orpheline, c’est-à-dire « une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. » (Article L 113-10 du CPI). A défaut de pouvoir obtenir l’autorisation de l’auteur, aucune exploitation de l’œuvre n’est possible sauf à rentrer dans le cadre des exceptions prévues aux articles 135-1 et suivants du CPI, en faveur principalement des bibliothèques et archives.
Il s’agit donc pour un producteur souhaitant intégrer une œuvre de street art au sein d’un film, de rechercher l’auteur afin d’obtenir son autorisation, ou de répondre aux conditions des exceptions au droit d’auteur et notamment l’exception de courte citation ou l’exception de panorama. Bien souvent, les producteurs n’ont d’autre choix sur le terrain du street art que de ne pouvoir compter que sur ces dernières. Pour ce qui est de l’exception de courte citation, celle-ci est définie à l’article L 122-5 doit répondre aux critères énoncés. L’extrait doit provenir d’une œuvre divulguée, être incorporé dans une œuvre ayant une finalité critique, polémique, pédagogique, scientifique, ou d’information, la citation doit être courte et le droit moral des auteurs doit être respecté. Il est de jurisprudence constante que l’insertion d’une œuvre entière, même à un format réduit, ne relève pas de la courte citation, ce qui exclue par exemple l’apparition d’une œuvre de street art entière.
Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris a également rejeté l’application de cette exception s’agissant de « La marianne asiatique » en relevant que le nom de l’artiste ou la source de l’œuvre n’était pas cité dans les diffusions incriminées et a pu ajouter que cette utilisation à des fins d’illustrations d’un discours politique n’était pas justifiée par un caractère critique, polémique, pédagogique, ou informatif.
L’exception dite de « Panorama » prévue au même article, prévoit quant à elle que lorsque l’œuvre a été précédemment divulguée, un auteur ne peut s’opposer aux « reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».
Son application dans le cadre de la production audiovisuelle est très peu probable, en ce qu’elle suppose une exploitation par une personne physique, sans exploitation commerciale.
Par ailleurs, s’agissant spécifiquement du street art, la Cour d’appel de Paris a, dans l’arrêt sus cité, exclu l’application de l’exception en relevant que la fresque n’était pas assimilable à une œuvre architecturale ou sculpturale, peu importe son apposition sur un mur et qu’elle n’était par ailleurs pas placée en permanence sur la voie publique, car soumise aux aléas extérieurs.
Enfin, le producteur d’une œuvre audiovisuelle dans laquelle apparait une œuvre de street art, pourrait invoquer comme défense une inclusion fortuite de cette dernière dans le film en cause.
En effet, dans un arrêt très remarqué du 12 mai 2011, relatif au film documentaire » Être et avoir » dans lequel apparaissaient des planches d’illustration d’une méthode d’enseignement de lecture en arrière-plan dans la salle de classe, la Cour de cassation a exclu la contrefaçon (Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 08-20.651).
Il a cependant été depuis clarifié, qu’au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, cette exception ne trouve application que si la reproduction est à la fois accessoire et fortuite, ce qui exclut les utilisations délibérées telles que filmer une interview devant une œuvre de street art, l’utiliser sur une affiche, en réaliser un gros plan … En tout état de cause, les décisions validant cette exception restent rares et il n’est pas certain que celle-ci soit maintenue dans les décisions à venir.
Au vu de ce qui précède, il apparait que l’inclusion d’œuvres de street art dans un film soulève d’importantes questions s’agissant de la clarification des droits. Celle-ci impose une analyse contextuelle, au vu des œuvres intégrées, des conditions de cette intégration, de la protection de celles-ci, des conditions pratiques d’accès aux auteurs, et pourra nécessiter le conseil avisé d’un cabinet spécialisé.
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