En mai 2023, la cour d’appel de Paris a refusé, à défaut d’originalité, la protection par le droit d’auteur à un selfie pris par une influenceuse qui reprochait à une société active dans le secteur de la mode d’avoir utilisé une photographie similaire (CA, Paris, 12 mai 2023, n° RG 21/16270).
Cet arrêt relatif à une pratique devenue habituelle met en avant les questions soulevées par la protection des photographies, dont la très grande démocratisation a ouvert la porte à une jurisprudence très fournie.
1 – Le critère central d’originalité
La protection des photographies par le droit d’auteur relève du droit commun et le principe est qu’une une photographie est protégée par le droit d’auteur si elle originale, c’est-à-dire si elle est empreinte de la personnalité de l’auteur et résulte d’un processus intellectuelle créatif.
La Cour de justice de l’union européen a ainsi jugé qu’une photographie est susceptible d’être protégée par le droit d’auteur si elle constitue « une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie » ( CJUE, 1er déc. 2011, aff. C-145/10 ).
A cet égard, peu importe la méthode utilisée par le photographe ou le support choisi – aucune distinction n’est faite entre argentique et numérique, fichier informatique ou tirage papier.
Par principe également, le mérite est a priori indifférent même si des décisions isolées peuvent faire référence au talent ou à la notoriété des photographes dans leurs analyses.
Enfin, la destination du cliché est également indifférente même si certains usages peuvent exclure la protection, notamment en cas de banalité des clichés.
2 – L’exclusion des choix imposés aux photographes
Les choix imposés aux photographes ne permettent pas de caractériser l’originalité des clichés.
C’est le cas des choix imposés par la technique ou par le sujet des clichés.
S’agissant des techniques, on peut citer les systèmes de reproduction d’images ou des outils automatisés tels les photomatons ou radars, qui ne permettent pas de choix de la part du photographe.
De la même manière, la prise de photographie en mode « rafale » ouvre difficilement la porte à une protection par le droit d’auteur, notamment dans le cadre d’évènements sportifs ou publics. C’est notamment le cas quand « les photographes étaient postés aux endroits qui leur étaient imposés, et non par choix raisonné, et agissaient selon la technique du déclenchement continu dite “prise en rafale”, ou en se limitant à installer un objectif à l’arrière d’un véhicule muni d’un déclencheur photographique » ( Cass. 1re civ., 3 févr. 2004, n° 02-11.400.)
De la même manière, les rejets sont fréquents pour les clichés réalisés par les paparazzi au vu de leur « comportement purement passif » en installant l’appareil dans l’attente de l’apparition de leurs sujet ( CA Paris, 4e ch. A, 5 déc. 2007, n° 06/15937 )
Certains sujets peuvent également rendre la protection difficile, notamment lorsque le photographe cherche à reproduire fidèlement la réalité.
L’absence d’originalité a pu dans certaines circonstance être relevée pour les « clichés pris “sur le vif’’ au cours d’événements sportifs, politiques, sociaux, la composition du cliché étant dictée au photographe par l’événement lui-même, voire par l’emplacement réservé à la presse par l’organisateur de l’événement, sans choix possible de la mise en scène, de pose, ni d’éclairage pour le photographe » (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 21 mars 2019, n° 18/10823).
L’originalité est également fréquemment rejetée pour les clichés publicitaires, particulièrement pour les représentations de produits de type « Packshots », résultant plus d’un savoir-faire technique que d’un processus créatif. Ainsi, si les clichés se limitent à une reproduction fidèle de l’objet et « obéissent à des impératifs techniques justifiés par la nécessaire mise en valeur des produits aux fins de vente et de restitution d’une image fidèle », ils ne sont pas originaux (TGI Paris, 3e ch., 29 janv. 2016 : RLDI févr. 2016, n° 391).
Les photographies de plateau sont elles aussi soumises à des difficultés s’agissant d’établir un apport créatif, dans la mesure où le réalisateur du film ou de la pièce de théâtre a généralement choisi les éclairages, les décors, les costumes, la posture des comédiens etc.
La protection est toutefois possible car « si le photographe de plateau qui n’a le choix, ni du lieu, ni du moment où la photo est prise, ni du cadre, ni de la position des personnages, ni des éclairages, réalisés par les auteurs de l’œuvre cinématographique, ne peut revendiquer la qualité d’auteur, il en va autrement lorsqu’il opère des choix techniques, esthétiques et artistiques indépendants du réalisateur » (CA Paris, 4e ch., 20 févr. 2008 : RIDA oct. 2008, p. 504).
Le photographe peut alors notamment démontrer s’être éloigné des « intentions artistiques du réalisateur » ( CA Paris, pôle 5, 2e ch., 13 avr. 2012, n° 11/07430 ) ou être à l’origine de la pose du cliché en saisissant une scène qui ne correspond à aucune séquence du film ( CA Paris, pôle 5, ch. 1, 14 mars 2017, n° 15/19495 : JurisData n° 2017-018356 à propos d’une photographie réalise sur le plateau d’A bout de souffle )
3 – Une démonstration des choix créatifs du photographe
Les juges s’attachent de manière constante à analyser le processus créatif du photographe en prenant en compte toutes les étapes : avant, pendant et après les prises de vue.
La période de préparation peut porter sur le choix des modèles, du décor, des accessoires mais aussi sur celui du matériel et des caractéristiques techniques : les appareils et objectifs, l’ouverture et la vitesse d’obturation, des éclairages ou des filtres.
Les choix techniques sont alors pris en considération s’ils ne relèvent pas du simple savoir-faire. Ainsi, le travail sur la lumière, « ses sources, sa direction, la recherche d’effets, de reliefs » ( CA Paris, pôle 5, 2e ch., 16 sept 2011 , préc.) peut être une preuve de créativité du photographe en créant des contrastes, un contre-jour, des ombres etc.
Lors de la photographie, le photographe doit avoir réaliser des choix concrets et non guidés par des impératifs techniques, comme tels que vu plus haut des photographies en rafale ou déterminées par l’emplacement accordé aux photographes d’un évènement.
Les partis pris du photographe peuvent alors résulter de l’angle de prise de vue : plongée-contre-plongée, profil etc. mais aussi des éléments inclus dans le cadre.
Ainsi, pour des photographies réalisées lors d’un concert, un photographe a pu faire valoir qu’il avait « procédé à des choix arbitraires quant aux moments qu’il a décidé de capturer, à l’angle des prises de vues, au cadrage puis au recadrage des photographies conférant à celles-ci un caractère personnel et original correspondant à ce que le photographe souhaitait retranscrire en images du concert » ( CA Paris, pôle 5-1, 25 janv. 2023, n° 21/05914).
Le travail a posteriori, s’agissant du tirage et des retouches est également considéré, qu’il s’agisse de colorimétrie, de contrastes, de saturation de suppression d’éléments ou de recadrage.
Sur ce dernier point, l’exemple le plus célèbre est celui de la photographie de Che Guevara attribuée à Korda pour laquelle photographe a fait le choix, de « dégager la photo du contexte dans lequel elle a été prise pour restituer avec puissance certains traits du caractère du sujet photographié » en isolant le personnage principal du groupe de personnes photographiées ( CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 mai 2010, n° 08/20959).
A noter que les retouches purement techniques « facilitées par l’emploi des logiciels de retouche photographique numérique » ( CA Paris, pôle 5, 1re ch., 14 nov. 2012, n° 11/03286 ) ayant « pour seul effet d’éclaircir les couleurs générales, de jouer sur les contrastes de lumière, d’affiner le grain de peau du mannequin et d’en gommer les irrégularités, d’ajouter du maquillage » ( CA Paris, pôle 5, ch. 1, 7 avr. 2015, n° 13/21690 ) ne sont pas des choix créatifs.
Enfin, dans leurs analyses les juridictions vont fréquemment prendre en compte la condition de « nouveauté » par comparaison avec les photographies antérieures ou postérieures ( CA Paris, pôle 5, ch. 2, 6 déc. 2019, n° 18/16512) pour s’assurer que la photographie ne constitue pas « la banale reprise d’un fonds commun non appropriable » ( TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 8 nov. 2018, n° 15/02536
Dans le cas du selfie, la cour a relevé que “le ‘selfie’ (que l’influenceuse) oppose apparaît se borner à reproduire l’éclairage artificiel de l’ascenseur dans lequel il est réalisé sans autre intervention » et relève également que la pratique est très fréquente chez les influenceurs, en comparant cela a différents comptes Instagram et des clichés antérieurs.
La cour relève, ensuite, que le fait de se photographier, dans une cage d’ascenseur avec son chien, au moyen de la technique du selfie est une pratique courante chez les influenceurs, en se basant notamment sur plusieurs comptes Instagram d’influenceurs très connus, dont les selfies pertinents sont antérieurs au selfie litigieux.
Au vu de ce qui précède, il apparait que la protection des photographies par le droit d’auteur suppose une étude approfondie des clichés en cause, des conditions de leur création et des antécédents pouvant exister. Pour mener cette étude, il est recommandé de se faire accompagner par un avocat spécialisé.
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