Le mardi 13 mai 2025, l’acteur Gérard Depardieu a été reconnu coupable pour des faits d’agressions sexuelles survenus lors du tournage du film « Les Volets verts » en 2021. Il a ainsi été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et au versement respectif de 5 000 et 3 000 euros de dommages et intérêts aux deux victimes. L’acteur a immédiatement indiqué faire appel.
Autre affaire en cours, le réalisateur Christophe Ruggia, accusé par l’actrice Adèle Haenel d’attouchements et de harcèlement sexuel alors qu’elle était mineure, a été condamné en première instance à 4 ans de prison dont deux ferme le 4 février 2025. Le jugement d’appel est prévu pour le 19 décembre 2025.
Très médiatisées, ces deux affaires de violences et harcèlements sexuels et sexistes (VHSS) sont loin d’être isolées. Cela s’est notamment vu lors de l’essor du mouvement #MeToo, qui a entrainé de nombreuses révélations de VHSS sur des tournages dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel.
Dès lors, il semble nécessaire de rappeler le cadre de protection existant, ainsi que ses limites.
Le cadre juridique applicable
Selon les art. L. 1153-1 et s. du Code du Travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel ou assimilé au travail. L’art. L. 1142-2-1 du même code complète cela en prohibant les agissements sexistes. Il en résulte un devoir de l’employeur de « prendre toutes les dispositions nécessaires » pour prévenir et réprimer ce genre de comportements au sein de son entreprise.
Dans le domaine du cinéma, la Convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012, qui régit les activités de production de films cinématographiques et publicitaires, consacre son chapitre IX à la répression des VHSS dans le cadre de la production.
Il renvoie à l’Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010, qui définit les VHSS comme « des comportements inacceptables d’un ou de plusieurs individus ; ils peuvent prendre des formes différentes (physiques, psychologiques, sexuelles), dont certaines sont plus facilement identifiables que d’autres. » (art. 31.1 de la Convention collective). Le texte détaille ensuite quatre de ces formes, en rappelant notamment les sanctions pénales qui leur sont affiliées : harcèlement sexuel, propos et agissements sexistes, agressions sexuelles et discrimination.
Reconnaissant la réalité des VHSS, la Convention collective, en collaboration avec les partenaires sociaux, met en place une procédure de prévention. Ainsi, un kit de prévention des VHSS a été créé à destination de l’ensemble des professionnels et s’articule en trois axes : prévenir, signaler ou réagir et traiter les signalements.
Dans le même esprit, le collectif 50/50, association ayant pour but de promouvoir la parité homme-femme dans le milieu du cinéma, a publié en 2020 le Livre blanc pour la prévention et la lutte des VHSS, qui est « pensé comme une aide concrète à tous.te.s les professionnel.le.s du cinéma et de l’audiovisuel pour définir, sensibiliser, détecter, réagir ».
Les producteurs sont aussi soumis à de multiples obligations légales et règlementaires. Ils doivent tenir un document unique d’évaluation des risques professionnels, conformément à l’art. L. 4121 du Code du travail, qui va identifier et prévenir les facteurs de risques préalablement à la réalisation de chaque film. Ensuite, l’ensemble des salariés devra être informé des risques de VHSS, qui leur seront communiqués dans le règlement intérieur, leur contrat de travail et sur les panneaux d’affichage. Afin de les sensibiliser, ils devront participer à des formations auprès de l’Afdas.
A ce titre, depuis le 1er janvier 2025, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) conditionne désormais l’accès aux aides à la production au suivi par les équipes de tournage de films cinématographiques d’une formation obligatoire en matière de prévention et de lutte contre les VHSS. Plus globalement, ces aides sont conditionnées au respect des règles en matière de prévention et de lutte contre les VHSS. Le CNC organise des sessions spécifiques de formation à destination des employeurs et des équipes de tournage depuis 2020.
Lors du tournage, on voit apparaitre la présence de professionnels destinés à aider à lutter contre les VHSS. Ainsi, un ou plusieurs référents VHSS doit être désigné par l’entreprise, sur la base du volontariat, pour toute la durée du film. Leur rôle, qui est détaillé à l’art. 33.1.3 de la Convention collective, ne remplace pas les obligations du producteur en ce sens qu’ils ne sont pas responsables de la prévention et du traitement de signalements des VHSS. Également, le métier de coordinateur d’intimité est apparu depuis quelques années, pour l’encadrement des scènes d’intimité.
L’employeur a aussi l’obligation d’élaborer une procédure interne de signalement et de traitement des VHSS, par la mise en place d’un « dispositif favorisant la remontée d’information en matière de VHSS » (art 34.3 de la Convention collective). Celui-ci doit comporter a minima l’envoi d’un accusé de réception du signalement, la réalisation d’une enquête contradictoire, l’information des personnes concernées des suites du signalement, éventuellement la réalisation d’une enquête interne, et une conclusion.
La Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité a rendu un rapport le 9 avril 2025 établissant une liste de recommandations. Sont notamment suggérés de mettre en place une aide juridictionnelle de plein droit au moment du dépôt de plainte pour les victimes, inscrire dans le Code du travail l’obligation de l’employeur de diligenter une enquête interne, prévoir systématiquement des clauses relatives aux VHSS dans les contrats de travail, rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité pour toute scène d’intimité impliquant un mineur, ou encore étendre la formation obligatoire aux tournages audiovisuels Ce cadre juridique, très développé en matière de cinéma, reste inexistant dans la Convention collective nationale de la production audiovisuelle du 13 décembre 2006. Toutefois, deux accords sont actuellement en cours de négociation afin de palier cela, notamment en rendant obligatoire la présence d’un référent VHSS et d’un coordinateur d’intimité sur les tournages. En complément, Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, a dévoilé le 7 mars 2025 quelques détails de son nouveau plan de lutte contre les VHSS dans l’audiovisuel pour 2025-2027. Il est notamment prévu un élargissement de l’obligation de formation des équipes de tournage au secteur de l’audiovisuel, ainsi qu’une extension de la conditionnalité des aides aux festivals de cinéma.
Ainsi, le cadre législatif et réglementaire encadrant la prévention et la répression des VHSS continue de se développer. Il reste néanmoins une zone d’ombre, quant à l’impact que les procédures VHSS ont sur les productions.
Les situations non couvertes et l’absence de protection des films « abimés » ?
L’arsenal réglementaire mis en place ne couvre que les situations de VHSS ayant lieu pendant la production du film. Or il arrive de plus en plus fréquemment que des révélations de faits antérieurs (ou ultérieurs) viennent impacter des productions de film.
Par exemple, le film « Les Amandiers » de Valeria Bruni Tedeschi a été déprogrammé par plusieurs cinémas et retiré de la liste des révélations aux Césars 2023, à la suite de la mise en examen de l’acteur principal, M. Sofiane Bennacer, pour viols sur ses anciennes compagnes et violences conjugales. Et cela concerne tout autant les VHSS survenues lors du tournage que hors du plateau, notamment pour des faits commis antérieurement au tournage. Une tribune publiée dans le journal Le Point avait dénoncé un réel lynchage médiatique impactant le film.
Au-delà, du distributeur du Film cette situation va aussi concerner les acteurs extérieurs, tels que les partenaires et investisseurs qui ont participé au financement du film. Or, en cas de faits de VHSS, le retour sur investissement attendu pourra être nettement amoindri. Par exemple, le film « Anna » au budget de 30 millions de dollars, a enregistré à peine 31 millions de dollars de profits après sa sortie (dont 5 millions en France) suite aux accusations d’agressions sexuelles du réalisateur et producteur Luc Besson.
En cas de révélations graves lors du tournage, cela peut mener à l’arrêt de celui-ci. Pour limiter les impacts notamment financiers que cela pourrait avoir sur les producteurs, la MAIF et AREAS ont mis en place depuis le 1er juillet 2021 une clause assurantielle gratuite, qui permet de couvrir jusqu’à 500 000 € de frais pour 5 jours d’arrêt de tournage. Toutefois, la mise en œuvre de la clause nécessite de signaler l’incident au Procureur de la République, ce qui peut prendre du temps. Par ailleurs, la clause reste limitée en ce qu’elle ne couvre qu’un arrêt temporaire. Or, comme le souligne Olivier Henrard, Directeur du CNC, il se peut que le tournage ne reprenne jamais, que cela soit dû « à l’éclatement de l’équipe ou à la réputation du film, désormais si ternie qu’il n’a plus d’équilibre économique », et aucune clause assurantielle n’existe actuellement pour couvrir une telle situation (Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, Compte rendu du 6 juin 2024). Il y a donc un risque financier bien réel.
Face à cela, certains choisissent la transparence. C’est ainsi le cas pour le film « Je le jure », durant le tournage duquel, à l’occasion d’une fête, le réalisateur Samuel Theis aurait eu des rapports sexuels avec un technicien qui n’y avait pas consenti. La productrice Caroline Bonmarchand et la distributrice ont alors décidé de sortir le film en suivant un principe de non mise en lumière du réalisateur (c’est-à-dire que la promotion du film s’est faite sans lui) et de révéler publiquement ce qu’il s’est passé. Cette position est inédite, c’est la première fois qu’une telle situation est traitée de cette manière. Toutefois, le jour de sa sortie, le film n’a enregistré que 3500 entrées, soit une dizaine par séance, ce qui est faible. Au 30 avril 2025, un mois après sa sortie, on comptabilise près de 50 500 entrées.
Le collectif RESPECT, à l’initiative Caroline Bonmarchand et Alice Girard, a rendu un rapport pour proposer des solutions à la commercialisation d’un film « abimé », c’est-à-dire dont la sortie est impactée par des faits de VHSS. Le groupe propose la création d’une certification RESPECT, qui sera délivrée aux films en fonction de leurs « engagements, la qualité et l’exhaustivité des moyens mis en œuvre contre les VHSS » durant leur réalisation. Cela permettrait ainsi de distinguer les films où des faits de VHSS ont été révélés mais où toutes les mesures nécessaires de prévention ont été mises en place par la production de ceux où cela n’a pas été fait.
Toutefois il faut noter que les exploitants de salle de cinéma restent libres de programmer ou non un film, et dans certains cas les faits sont antérieurs à la production, ce qui empêche la mise en place de mesures par la production, qui n’en est pas moins impactée par les révélations de VHSS. Il semble nécessaire encore de pousser les mesures plus loin, et de travailler avec les assurances pour mettre en place des fonds de garanties permettant de couvrir ce type de sinistre.
En tout état de cause, que vous soyez victime, partenaire d’un film « abîmé » ou employeur, il est judicieux de prendre conseil auprès d’un avocat spécialisé afin d’être accompagné dans l’application des dispositions conformes à votre situation, et limiter ainsi vos risques et votre préjudice.
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